Un membre d’Ansar Dine, près de tombouctou (Mali), le 24 avril 2012 (ROMARIC OLLO HIEN/AFP)
Un membre d’Ansar Dine, près de tombouctou (Mali), le 24 avril 2012 (ROMARIC OLLO HIEN/AFP)

Depuis plusieurs mois, les saisies d’armes se multiplient en Tunisie dans un contexte de regain d’insécurité dans la zone du Sahel. La plus spectaculaire a eu lieu jeudi 17 janvier à Médenine, dans le sud du pays : un impressionnant stock d’armes de guerre et de matériel militaire a été saisi lors de l’arrestation d’un groupe identifié comme salafiste.

Résurgence d’un phénomène ancien

La guerre française au Mali contre des groupes armés djihadistes a mis soudainement sous les projecteurs la menace du terrorisme islamiste, dirigé principalement contre les intérêts occidentaux, mais n’épargnant pas les populations locales.

Mais, l’insécurité dans la zone du Sahel, s’étendant de la Libye à la Mauritanie, n’est pas récente. Contrebande et enlèvement contre rançons sont monnaie courante et ont permis à certains groupes, islamistes ou non, de constituer des trésors de guerre évalués à plusieurs millions de dollars. Même faiblement, la Tunisie a toujours été concernée par ce risque, notamment dans le grand sud du pays. On se souvient qu’un couple d’Autrichiens avait par exemple été enlevé en mars 2008 ; un acte déjà revendiqué à l’époque par AQMI. Deux ans plus tôt, plusieurs jours de violents affrontements entre l’armée et un groupe armé au sud de Tunis, à Soliman, se sont soldés par au moins 14 morts, dont des membres des forces de l’ordre.

Ces groupes, jusque-là pourchassés, aussi bien en Tunisie qu’en Algérie et en Mauritanie, ont pour certains trouvé refuge dans le désert malien. Le Mali, pays pauvre de 15 millions d’habitants et sept fois plus grand que la Tunisie, est incapable de contrôler les grandes étendues du nord. C’est le Printemps arabe et le renversement des dictatures en Tunisie et en Libye qui va renforcer les djihadistes du Sahel.

Mali : victime collatérale du printemps arabe

S’il est admis que l’intervention franco-britannique en Libye a permis d’éviter un massacre à Benghazi et de mettre fin à quatre décennies de dictature, il a eu aussi pour conséquence de désorganiser tout le pays. Dans ce chaos, des groupes islamistes — avec le soutien de pétromonarchies pour certains — se sont aguerris au combat contre les troupes de Kadhafi et se sont largement servis dans les arsenaux du dictateur libyen, mettant en circulation d’importantes quantités d’armes.

Le Mali n’est donc qu’une victime collatérale de la révolution libyenne. L’opération des soldats français, puis africains pour sauver ce pays de la menace djihadiste n’est que la conséquence de la déstabilisation de la région en 2011.

Une menace pour tous les pays de la région

Cliquez sur l'aperçu pour agrandir l'infographie. Source : Lefigaro.fr
Cliquez sur l’aperçu pour agrandir l’infographie. Source : Lefigaro.fr

Les affrontements entre l’armée et des salafistes dans la région de Kasserine et plus récemment l’importante saisie d’armes à Médenine montrent bien que la Tunisie n’est pas épargnée par ce regain de tension. Des observateurs accusent même le gouvernement dominé par les islamistes d’Ennahdha de bienveillance à l’égard de la mouvance salafiste dans le pays, ce qui leur donnerait une impression d’impunité propice à leurs activités.

Mais, la sanglante prise d’otages en Algérie a montré que les djihadistes ne se contentent pas d’opérations de guerre comme au Mali, en Libye ou en Syrie. Ils s’attaquent sans hésiter aux intérêts occidentaux dans les pays de la région comme à In Amenas, une installation opérée par la compagnie anglaise BP.

Dans ce cas, les pertes à craindre ne touchent pas uniquement les multinationales. Celles-ci ont toujours les moyens de se remettre de ses attaques en déplaçant leurs investissements ou en les faisant gérer par du personnel local. En revanche, dans le cas algérien, la principale victime est l’Algérie, dont la souveraineté a été touchée par cet « acte de guerre », comme le définissent les autorités à Alger. De plus, les craintes pour leur personnel et leurs investissements risquent de faire fuir une partie des compagnies étrangères, autant de pertes d’emploi et de baisse des exportations d’hydrocarbures pourtant vitales pour le pays.

Quels risques pour la Tunisie ?

Le stock d’armes trouvé la semaine dernière aux mains de salafistes prouve que le risque est réel en Tunisie. La frontière avec la Libye est devenue un lieu de transit pour les armes en partance pour l’Algérie, le Mali, mais aussi la Tunisie. Un trafic qui ne peut de toute évidence ne pas se faire sans soutien local provenant de la mouvance salafiste tunisienne.

Jusqu’à présent, les salafistes tunisiens les plus radicaux se sont exilés pour faire le Djihad en Syrie ou au Mali ; il y en aurait aussi parmi les preneurs d’otages à In Amenas. En Tunisie, ils n’ont utilisé que des armes de fortune, par exemple lors de l’attaque de l’ambassade américaine en septembre dernier ou des émeutes nocturnes à Douar Hicher en octobre. Pierres, cocktails Molotov, bâtons et armes blanches constituent pour le moment l’essentiel de leur armement.

Les unités des forces de l’ordre, mieux équipées, ont jusque-là eu le dernier mot, mais qu’en sera-t-il lorsqu’elles seront opposées à un armement du type de celui découvert dans l’arsenal de Médenine (fusils d’assaut et lance-roquettes) ? Le laxisme des autorités vis-à-vis de groupes violents ou potentiellement violents renforce le risque de voir la Tunisie confrontée à des actions terroristes.

Outre l’armement, la guerre malienne et l’escalade militaire du régime de Damas sont en train de créer des combattants expérimentés pouvant rentrer un jour en Tunisie avec l’objectif d’y perpétrer des actions violentes.

Rached Cherif