appareil-parallele

Deux mois après la publication de vidéos montrant l’homme d’affaire Fathi Dammak, filmé à son insu, en pleine présumée transaction préliminaire d’armes et commanditant des enlèvements et des assassinats, l’affaire refait surface sur le devant de la scène suite à l’odieux assassinat de Chokri Belaïd.

A l’époque de notre enquête nous avons démontré que la présumée cellule armée à la solde de Fathi Dammak agirait plutôt dans le cadre d’une opération menée par un supposé appareil parallèle en lien direct avec le parti Ennahdha dont la finalité reste encore inconnue.

Grâce à de nouveaux éléments nous avons pu approfondir notre investigation et éclaircir certains points : L’opération a été initiée par un haut cadre du parti Ennahdha : Kamel Aifi. Elle a été menée par deux civils membres du même parti : Belhassan Naccache et Ali Ferchichi. L’opération a été menée au départ en dehors de tout cadre institutionnel et elle comporte de nombreuses anomalies. Ces faisceaux donnent à croire qu’il s’agit donc d’une opération menée par un appareil agissant en marge des institutions de l’Etat.

En conclusion de notre article du 8 janvier 2013 nous n’avons pas pu écarter l’hypothèse selon laquelle cette organisation chercherait réellement à commettre des assassinats. L’opération montée contre Fathi Dammak servirait alors à créer un coupable idéal. Nous revenons ici sur les points non élucidés lors de notre premier article et sur les éventuels liens avec l’assassinat de Chokri Belaid.

Retour sur l’affaire

L’affaire éclate après la publication le 26 et 27 décembre 2012 sur Nawaat de deux vidéos montrant un homme d’affaires en compagnie de deux personnes négociant une transaction d’armes et mettant sur pied des opérations d’assassinats et d’enlèvements de personnalités politiques, médiatiques et du monde des affaires.

L’acheteur est l’homme d’affaires, Fathi Dammak, qui n’a eu de cesse, depuis le 14 janvier 2011, de se présenter comme l’une des victimes de la famille Trabelsi. En face de lui, Belhassen et Ali, les fournisseurs présumés des armes qui ont filmé les rencontres en caméra cachée.

Quelques heures avant notre première publication (celle du 26 décembre 2012), l’homme d’affaires a été arrêté et il est à ce jour le seul en détention. Par contre, deux interlocuteurs, Ali et Belhassen, sont encore libres jusqu’à aujourd’hui.

Suite à l’obtention de 7h25min d’enregistrement vidéo, qui nous ont permis de remettre dans leur contexte les deux premières vidéos, on découvre que les deux associés présumés de l’homme d’affaire sont en réalité, Ali Ferchichi et Belhassen Naccache, deux civils, membres d’Ennahdha. Ils ne sont ni policiers ni membres des services de renseignement.

L’examen minutieux des enregistrements ainsi qu’une enquête nous ont permis d’écarter l’hypothèse d’une organisation criminelle dirigée par Fathi Dammak. A la place, une nouvelle piste s’est imposée, celle d’une organisation parallèle à l’appareil sécuritaire de l’Etat, en lien avec le mouvement Ennahdha.

L’alibi de l’opération de renseignement battu en brèche

Suite à l’enquête publiée sur Nawaat le 8 janvier 2013 le ministère de l’intérieur a affirmé qu’il s’agissait d’une opération de renseignement légale et dans le cadre institutionnel.

Opération de renseignement ?

Dès l’obtention de la première vidéo, une question s’est posée : pourquoi le présumé marchand d’armes filme-t-il en cachette la transaction ? Un premier indice nous parvient le 28 décembre, le lendemain de la publication de notre enquête. Un homme prénommé Samir Ben Youssef, membre dirigeant de la Ligue de Protection de la Révolution (LPR), a demandé à rencontrer notre source. Lors de cette rencontre Samir était accompagné d’un journaliste de l’hebdomadaire “Al masaa”.

Au cours de la discussion qui a eu lieu et dont nous possédons un enregistrement audio, Samir s’est déclaré contrarié et furieux contre Nawaat. Il estime que cette publication a grillé “la cellule”. Samir formule alors un avertissement :

Nous c’est dans le cadre de la ligue (Ligue de Protection de la Révolution, [ndlr]). On en a le droit… Là c’est bon, ils doivent arrêter… Nawaat va trop loin… Nous on agit légalement en tant qu’organisme et en coordination avec d’autres entités comme pour l’affaire Hchicha, cette racaille qui finance Nidaa Touness.….Ceci doit être enterré ici, on a rien à faire du ministère de l’Intérieur. Cela devait sortir dans les médias, mais là c’est bon, ils doivent arrêter… Nawaat va trop loin.

Une déclaration étonnante : comment la LPR peut-elle agir dans le cadre d’une affaire de renseignement ? Et pourquoi déclare-t-il se moquer du ministère de l’Intérieur ?

Peu après, Belhassan et Ali, les deux interlocuteurs de Fathi Dammak dans les vidéos, nous contactent par le biais de notre source. Un de nos journalistes les rencontre. Étrangement, dès le début de la rencontre Ali et Belhassan tiennent à nous expliquer qu’ils ont été autorisés à nous rencontrer par un membre du bureau exécutif du parti Ennahdha. Cette fois-ci encore nous enregistrons la discussion.

Belahssan et Ali essaient de nous faire comprendre qu’ils agissent, en fait, dans le cadre d’une opération en coordination avec le ministère de l’Intérieur et qualifient l’entité qui les a engagé de “spéciale”. Pourtant ils expriment leur manque de confiance envers l’institution sécuritaire et avouent qu’ils ont démarré l’opération seuls. Ils auraient informé les autorités ultérieurement.

Ali : “Nous avons fait notre boulot. A chaque avancement où une vidéo est enregistrée, on l’a déposée au ministère de l’Intérieur. Un procès verbal final a été rédigé le 13 Novembre” […] Nous, on nous a demandé de le surveiller, de le filmer et de le cadrer. Tout ce que nous avons fait est en coordination avec le ministère de l’Intérieur.

Comment Ali et Belhassen, en tant que civils, peuvent-ils agir dans le cadre d’une opération en coordination avec le ministère de l’Intérieur alors même qu’ils déclarent ne pas lui faire confiance et qu’ils disent avoir commencé à travailler seuls ? Comment une opération de renseignement peut-elle être lancée par des citoyens lambda ?

Contrairement à Ali, Belhassan évoque, lui, “des circuits sécuritaires spéciaux“ :

Mais là ce n’est pas du ministère de l’Intérieur qu’il s’agit, mais d’une entité particulière, des personnes en particulier.

Dans les enregistrements vidéos on trouve une indication sur l’identité d’une de ces “personnes particulières”. Lors d’une discussion entre Ali, Belhassan et Kais B., un agent des renseignements généraux au sein du ministère de l’Intérieur, présenté par Ali Ferchichi comme proche du parti Ennahdha, les trois hommes parlent d’un dénommé « Kamel » à l’origine de l’opération. « Kamel » serait, selon eux, un membre du parti Ennhdha, comme le déclare Ali dans cette retranscription :

Franchement Kais, l’autre fois, j’allais te dire un truc, tu vois, quand nous avons accepté cette affaire via Kamel, il nous a dit qu’il y a un certain “notre fils et notre frère”. Nous travaillons pour le pays, nous sommes les fils du mouvement (Ennahdha) et nous sommes prêts à mourir pour le mouvement, cette opération a été initiée par le mouvement, quand on nous a dit que t’étais “notre fils”, c’est par confiance envers toi, on rend service au mouvement.

Notre source, quant à elle, nous confie qu’il s’agit d’un haut cadre du parti sans nous divulguer son identité complète.

Il s’agit en fait de Kamel Aifi qui est à la fois cadre dirigeant du mouvement Ennahdha en France, membre du comité fondateur d’Ennahdha, dirigeant du Centre islamique “Tawhid” et ami proche de Habib Ellouz, membre du conseil de la choura du parti Ennahdha.

Des informations confirmées par le procès verbal d’audition du 4 février 2013 de la confrontation devant le juge d’instruction du 15e bureau entre Belahssan Naccache et Ali Ferchichi d’un côté et Fathi Dammak de l’autre. Ali et Belhassan déclarent que c’est un certain “Kamel Aifi” qui les a présentés à l’homme d’affaires. Ce dernier confirme les faits.

Le plus étrange c’est que Kamel Aifi semble jouer un double jeu. Il met en place l’opération de renseignement en mettant en contact Ali, Belhassan et Fathi Dammak tout en continuant à garder des relations avec l’homme d’affaires.

Des notes trouvées dans l’agenda de Fathi Dammak font état d’un rendez-vous fixé avec Kamel Aifi le 8 décembre 2012, soit près d’un mois après les dépositions de Belhassen et Ali le 13 novembre 2012. Des dépositions qui seraient à l’origine du déclenchement officiel de l’enquête menant à l’arrestation de l’homme d’affaire Fathi Dammak.

Une copie de l’agenda de Fathi Dammak. Ce dernier mentionne un rendez-vous avec Kamel Aifi, après le début de l’enquête déclenchée par ce dernier contre lui.

Kamel Aifi, haut cadre du parti Ennahdha a donc mis en contact Ali et Belhassan avec l’homme d’affaire Fathi Dammak. Ali et Belhassan, membres eux aussi du parti Ennahdha se sont ensuite lancés dans une opération d’espionnage de Fathi Dammak, sans aucun cadre institutionnel, du moins pendant les six premiers mois de l’opération.

Le juge d’instruction consigne que “Belhassan et Ali déclarent avoir connu Fathi Dammak par l’intermédiaire de Kamel Aifi. Leur relation s’est développée et à travers leurs échanges ils auraient entendu Fathi Dammak parler d’opération de liquidation et de racket visant des personnalités du monde de la politique et des affaires.”

L’accusé leur aurait donné la somme de 6000 dinars pour l’achat d’armes et leurs aurait demandé d’exécuter ces opérations. Ils auraient ensuite informé un « appareil de renseignement » vers le mois de juin 2012. Cet « appareil » leur aurait dit de continuer l’opération en leur assignant trois agents des services de renseignements : Kais B., évoqué plus haut, Jamel N. et Sami B., ainsi que deux de la police judiciaire : Sami O. et Jamel K. Vérification faite, le dénommé Jamel N. appartiendrait en réalité à la direction des frontières et des étrangers.

Or, ces déclarations sont en contradiction avec ce que Ali et Belhassan racontaient lors de leur première déposition. En effet, le 13 novembre ils déclaraient, devant le vice-procureur de la République, avoir été chargés par une “entité spécialisée” du ministère de l’Intérieur d’approcher Fathi Dammak. Ce service spécialisé aurait informé Ali et Belahssan qu’ils détiennent des informations concernant des intentions criminelles de l’homme d’affaires.

Pourquoi ne pas avoir nommé Kamel Aifi lors de leur première déposition le 13 novembre 2012 face au Procureur adjoint et en présence de l’officier de la brigade judiciaire Sami O., sensé être au courant de l’opération ? Pourquoi avoir occulter une information cruciale : Kamel Aifi est celui qui était à l’origine de cette opération.

Il est à noter que la confrontation durant laquelle Ali et Belhassan changent leur version initiale a lieu après la publication de notre enquête, le 8 janvier 2013, dans laquelle nous révélons que c’est un certain “Kamel“ qui est à l’origine de cette opération.

Nous avons essayé de joindre M Aifi, sans succès.

Ali et Belahssan incitent Fathi Dammak au meurtre

Dès les premières minutes du visionnage des séquences vidéos nous sommes intrigués par les deux interlocuteurs de Fathi Dammak : Belhassan Naccache et Ali Ferchichi. Tout au long de l’opération, ces derniers, ne cesseront pas d’inciter Fathi Dammak à passer à l’acte et d’après les dépositions de Fathi Dammak, essaieront de le faire chanter.

– Ali et Belhassan : deux personnages intrigants

Belhassen Naccache est en fait un fonctionnaire de la Société Nationale des Chemins de Fer. Il est président de la délégation (maire provisoire d’arrondissement) de la Medina Jadida (Ville Nouvelle) dans la municipalité de Ben Arous. Il est un membre actif d’Ennahdha au bureau de Yasminet, Medina Jadida à Ben Arous.

Quand à Ali Ferchichi, il possède une société de services et se déclare aussi membre d’Ennahdha. Il aurait eu des démêlés avec la justice pour des affaires d’escroquerie.

Au vu de leurs profils on peut se demander comment Ali et Belhassan se sont retrouvés à exécuter une opération de renseignements.

-Incitation au passage à l’acte

Dans les vidéos on constate que Belhassan Naccache incite à plusieurs occasions l’homme d’affaires Fathi Dammak à transformer son ressentiment du fait des injustices qu’il aurait subi sous le régime de Ben Ali, en des intentions criminelles.

Ali Ferchichi, lui, l’incite à plusieurs reprises à matérialiser ses intentions en planification d’assassinats.
De surcroît, dans le PV numéro 11/2587 de la police judiciaire d’El Gorjani rédigé par l’officier Sami O., Sadok Dammak, fils de l’homme d’affaires Fathi Dammak, déclare que son père n’avait pas des intentions criminelles, mais que Belahssan et Ali l’ont convaincu de leurs plans, avant qu’ils n’essayent de le soumettre à un chantage.

Dans le rapport numéro 2642, daté du 18 décembre 2012, le service technique de la police scientifique documente l’analyse d’une clef USB et déclare avoir trouvé 11 séquences vidéos.

Dans la septième séquence enregistrée sous le nom “5”, dans le fichier “Fathi Dammak”, d’une durée de 30 minutes, la retranscription faite par la police scientifique cite une conversation entre Ali, Fathi et un certain Walid. Walid est en réalité le membre d’Ennahdha Belhassan Naccache. Ce dernier est étrangement désigné comme étant “Walid”. “Walid qui ce trouve être le pseudonyme qu’utilise Kais B, l’officier du renseignement dans sa couverture pour cette mission et non Belahssan.

Dans ce même enregistrement Ali Ferchichi explique la manière d’agir :

“Adel Bouhlel, sur la route de Slimane, sur une moto, on lui tire une balle, tout en roulant”

Plus loin dans la retranscription, la police scientifique rapporte que “Walid” (qui est en réalité le membre d’Ennahdha Belahssan Naccache) dit à l’homme d’affaires Fathi Dammak :

“M.Fathi, choisissez nous deux personnalités politiques, le mec avec la moustache, Chokri Belaid et un autre, on s’en occupe”

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L’incitation de Belahssan à l’homme d’affaires de passer à l’acte n’est pas anodine. En effet, une opération de renseignement nécessite une attitude passive par rapport aux intentions criminelles et se limite théoriquement à les documenter et non pas à proposer des cibles. L’incitation à commettre un crime est, quant à elle, un crime en soit.

-Chantage ?

Dans le PV d’audition de la confrontation en date du 4 février 2013 Fathi Dammak accuse Ali et Belhassan d’avoir essayé de le soumettre à un chantage en utilisant les vidéos des scènes dans lesquelles il estime avoir été piégé.

La famille de Fathi Dammak et ses proches collaborateurs confirment cette tentative de chantage et avancent le fait que Ali et Belhassan auraient demandé 25 000 dinars en échange de leur silence. Cette tentative de chantage aurait eu lieu après que Ali et Belhassan aient fait leur déposition devant le Vice-Procureur.

Par ailleurs, quatre des employés de Fathi Dammak ont témoigné devant un huissier notaire le 26 janvier 2013 que Ali et Belhassan, durant la première semaine du mois de décembre 2012, ont tenté de subtiliser une camionnette de la société “Sojer”, appartenant à Fathi Dammak.

Des anomalies en cascades dans les déclarations comme dans les faits

Comme nous l’avons publié lors de notre première enquête, nous avons pu obtenir les procès-verbaux des dépositions de Belhassan et Ali datés du 13 novembre 2012 portant, respectivement, les numéros 01/2587 et 02/2587.

Ces procès-verbaux mettent en lumière différentes anomalies aussi bien dans le déroulement de la première déposition de Ali et Belhassan devant le Procureur, quant à la date de déclenchement de l’opération, ainsi que sur la conservation des pièces à conviction.

Le déroulement de la première déposition de Ali et Belhassan est intriguant. Dans ces procès verbaux, Belhassan et Ali font leur déposition sans même présenter leur carte d’identité nationale alors qu’ils disent s’être présentés devant le Procureur de leur plein grès pour l’informer de l’existence de cette opération. Ils ne donnent aucun détail sur cette supposée « entité spécialisée » ou sur leurs commanditaires au sein de l’appareil du ministère de l’Intérieur. Ni l’officier chargé de l’enquête, ni le procureur adjoint de la République ne trouvent rien à y redire et se contentent de ces déclarations, sans poser plus de questions.

Belhassen et Ali racontent au juge d’instruction que la dite « entité spécialisée » les a équipé de matériel d’enregistrement vidéo pour documenter leurs rencontres avec l’homme d’affaire. Ils disent fournir quotidiennement des informations à la dite « entité spécialisée ».

La date de déclenchement de l’opération est floue : Belhassan et Ali déclarent que l’opération a commencé à partir du mois de juin 2012 alors que le premier procès-verbal n’a été établi que six mois plus tard, c’est à dire en Novembre 2012. L’enquête préliminaire menée par la brigade criminelle d’El Gourjani et l’instruction faite par le juge d’instruction du 13e bureau du Tribunal de Première instance, ne font pas état du déclenchement de cette opération ni de l’identité de la fameuse “entité spécialisée” au sein du ministère de l’Intérieur.

Le ministère de l’Intérieur lui-même ne donne pas plus d’indication. Ainsi Oussema Bouthelja, chargé de mission au cabinet du ministère de l’Intérieur, lors de l’émission de la chaîne de télévision Ettouniseya « 9pm » le 10 janvier 2013, s’est contenté d’assurer que l’opération était légale et a fait référence au PV du 13 novembre 2012 de Ali et Belhassan, mais n’a donné aucun détail sur le début de l’opération ni sur l’entité qui la menait.

Les deux témoins déclarent également qu’ils avaient commencé à filmer bien avant de venir témoigner et que “l’entité spécialisée” les aurait équipé en caméra cachée pour ce faire. Ces enregistrements, dont certains remontent, aux moins, au mois d’octobre, étaient ils autorisées par un juge ? Rien ne le prouve dans les documents du dossier de la procédure judiciaire en cours, auquel nous avons pu avoir accès. .

Autre anomalie concernant une pièce à conviction : Étrangement, à la fin de la déposition, Belhassen lui même, remet les enregistrements vidéos dont il dit détenir une copie sur une carte mémoire, à l’officier de police judiciaire d’El Gorjéni Sami .O qui était en train de prendre sa déposition.

Comment se fait-il que Belhassan, qui est supposé n’être qu’un simple informateur ait en sa possession les enregistrements considérés comme une pièce à conviction ? Pourquoi en conserve-t-il une copie ? Pourquoi est-ce lui qui donne au Procureur les enregistrements alors que ce dernier aurait dû être en possession de ces enregistrements et de tout le dossier de l’opération, qui aurait dû lui être transmis par « l’entité spécialisée » supposée être en charge de l’affaire ?

Autre anomalie concernant une autre pièce à conviction : Ali et Belhassan déclarent avoir reçu de Fathi Dammak la somme de 6000 dinars destinée à l’achat des armes. Ils auraient distribué cette somme aux employés de l’entreprise de services que Sadok Dammak rechigne à les payer. Or cette somme d’argent, pièce à conviction importante dans cette présumée transaction d’armes, n’a pas été mise sous sellés.

Fathi Dammak et son fils Sadok contestent même cette version et affirment dans leurs dépositions respectives, que les 6000 dinars étaient destinés à l’achat de tenues de travail pour les employés et n’ont jamais été distribués à ces derniers. A ce jour aucun employé n’a été entendu ni par la police judiciaire ni par le juge d’instruction.

Les armes introuvables

Pour appuyer sa demande de mise sur écoute de Fathi Dammak auprès du juge d’instruction, l’officier Sami O. affirme le 21 novembre 2012, dans le procès verbal numéro 03/2587 qu’il possède des informations sur la détention par Fathi Dammak d’un pistolet de calibre 9mm et qu’il projette d’acquérir 4 armes de calibre 9mm et une Kalachnikov pour commettre des opérations d’assassinats.
Ces informations seront le motif de trois autres demandes de mise sur écoute d’un certains nombre de lignes téléphoniques de Fathi Dammak et de son fils Sadok. Des demandes faites les 21, 22 novembre ainsi que le 3 décembre 2012 par Fadhel M. commissaire divisionnaire.

Or dans aucune des déclarations des protagonistes de l’opération on ne parle d’un pistolet 9mm. Par ailleurs, selon le ministère de l’intérieur, aucune arme n’a été retrouvée au domicile de Fathi Dammak lors de son arrestation.
Et lorsqu’une demande de perquisition a été faite par Sami 0. il n’y a pas eu de réponse de la part du Procureur.

Beaucoup de zones d’ombre, pour ne pas dire d’anomalies entourent cette affaire. De l’implication de civils, tous membres d’Ennahdha, dont Kamel Aifi, un haut cadre dirigeant, aux anomalies lors de l’enquête, tout conforte la thèse d’une officine clandestine menant des opérations à la marge de la légalité initiées par Kamel Aifi, un haut cadre du parti Ennahdha. Les intentions réelles de cette opération restent inconnues.

Sans la fuite des vidéos et la divulgation de cette affaire par Nawaat, Fathi Dammak aurait été le suspect idéal dans d’éventuels assassinats politiques.

Un autre élément confortant la thèse de l’opération clandestine vient des déclarations du membre dirigeant du LPR Samir Ben Youssef, cité plus haut, qui a avoué à notre source que l’enquête de Nawaat risquait de « griller les autres cellules ».

Si ces cellules existent, qui les dirigent et dans quel but agissent-elles ? A notre connaissance aucune action n’a été entreprise par la justice pour enquêter sur ces supposées cellules opérationnelles.

L’assassinat de Chokri Belaid donne une autre tournure à l’affaire

Depuis l’assassinat de Chokri Belaid, beaucoup se sont posés des questions sur les liens éventuels entre les révélations de notre enquête et le crime odieux perpétré contre le leader de gauche. Plusieurs révélations sur l’existence d’un appareil parallèle en lien avec le parti Ennahdha ont été faite.
Il existe des concordances entre l’affaire Dammak et l’assassinat de Chokri Belaïd. Tout d’abord il y a le fait que dans une séquence vidéo on entend clairement Belhassan proposer à Fathi Dammak d’assassiner Chokri Belaid.
Ensuite dans les informations préliminaires présentées par le porte-parole du ministère de l’Intérieur le 6 février 2013, l’assassin de Chokri Belaid aurait tiré sur lui avant de prendre la fuite sur une moto conduite par un complice, rappelant étrangement les déclarations de Belhassan sur ce qui pourrait arriver à Adel Bouhlel.

D’autre part deux avocats bien informés sur le dossier judiciaire de l’assassinat de Chokri Belaid nous indiquent qu’il a été assassiné avec des balles de calibre 9mm.

Enfin, notre journaliste Ramzi Bettaibi a été entendu le 12 février 2012 par le juge d’instruction du 13 bureau du tribunal de première instance de Tunis. Lors de cette audition devant le Procureur Ramzi Bettaibi a résumé les conclusions de notre première enquête sur l’affaire Dammak. Le Procureur envisage désormais d’intégrer cette affaire dans le dossier d’instruction de l’assassinat de Chokri Belaid.

Cependant aucune conclusion hâtive ne peut être tirée et rien ne permet d’affirmer un lien direct entre les deux affaires. Toutefois, et à la lumière de l’assassinat de Chokri Belaid, il est plus que nécessaire de lever tout le voile sur le véritable déroulement de l’opération montée contre Fathi Dammak. ainsi que le véritable rôle joué par les membres d’Ennahdha dans le déroulement de l’opération.