Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Fethi Belaid/Agence France-Presse — Getty Images

Pour les âmes sensibles : mon article n’est pas un réquisitoire contre les partisans d’un Islam culturel qui a bercé, berce et bercera encore je l’espère l’identité et la culture tunisienne. C’est un réquisitoire contre le reste.

Etant plus jeune, mes parents me parlaient de leur Tunisie des années 60 à 80 avec un brin de nostalgie et un peu d’étoiles dans les yeux. Ils ont tous deux grandis à Kairouan, ville où il a fait bon vivre et grandir il y a encore quelques décennies, tout comme le pays en général d’ailleurs, qui comptait à l’époque deux cinémas, un théâtre en plein air et des infrastructures sportives dignes de ce nom. Je cite ma tante qui me parlait il y a quelques jours encore des beaux garçons qui draguait à l’italienne, l’atmosphère de légèreté, d’espoir et de foi dans l’avenir qui a construit la génération de mes parents et en a fait, je pense, des gens bons. Un pays où le paradigme de l’ascenseur social avait du sens et où la méritocratie était le crédo pour une jeunesse assoiffée de modernité.

Je suis né en 1990 et jusqu’à ce 14 Janvier 2011, le seul président tunisien que je connaissais, c’était Ben Ali. J’ai donc grandi avec l’image d’un pays auquel il manquait l’essentiel pour être parfait : la démocratie, la fin de la peur au ventre quand on ne se souci pas de son nombril, l’envie de crier que quelque chose ne tourne pas rond dans l’appareil gouvernemental. J’ai fait ce que j’ai pu, en créant un faux profil sous le pseudo de Louis Yezzi en juin 2010, publiant quelques articles saignants (j’ai d’ailleurs été censuré 3 jours après le 1er article), voilà. Le reste, c’était entre les mains de Dieu. Bouazizi puis le peuple tunisien ont filé un sacré coup de main.

Mais si la dictature n’avait pas amené le pays sur la voie du progrès social, la post-dictature n’a fait, manifestement, qu’empirer les choses. Et chez mes parents, quand je parle de la Tunisie, ce n’est plus de la mauvaise nostalgie que je lis dans leurs yeux, c’est de la tristesse sans fin. Une bombe obscurantiste qui a creusé un trou noir de désespoir, sans fond, sans issue. L’espoir en Tunisie aujourd’hui ? L’infini à la portée d’un caniche, pour paraphraser Céline.

Débarrassés de Ben Ali et de sa clique, en deux ans, on aurait sérieusement pu être le Hong-Kong ou le Singapour de la Méditerranée : petit par la taille, grand par l’attractivité, avoir un taux de croissance intéressant et avoir voix au chapitre dans le concert des nations émergentes. On aurait été auréolé d’un prestige sans fin d’avoir été le seul pays arabes dans l’Histoire à avoir réussi une transition démocratique sans faille. On aurait été parfait.

Mais aujourd’hui, je me pince et je regarde la réalité en face. Débarrassée de Ben Ali et de sa clique, avec nos Prix Nobel au pouvoir, la Tunisie fait autant rêver que le Malawi. Merci beaucoup.

Punaise, quelle mouche a piqué ces 40% des électeurs ce 23 Octobre 2011 qui ont mis le bulletin qu’il ne fallait pas dans les urnes ? Qu’est ce qui vous a séduit dans leur projet ? Vous pensiez qu’ils allaient apporter quoi à la Tunisie ? De la sécurité, de la croissance, de l’emploi, des investissements et le bonheur pour tous ? Si encore vous aviez mis le bulletin d’Hammami, la scène politique aurait été un peu plus funky et ils auraient enfin compris que le Mur de Berlin est tombé, que le communisme est mort et ils se seraient enfin confronté aux Réalités du marché. Nos traditions économiques libérales mêlées aux revendications sociales légitimes auraient pu permettre d’ériger une économie sociale de marché à l’Allemande. On aurait peut être eu notre Merkel à nous (Moncef Cheikh-Rouhou), du poids dans le monde arabe, et on aurait été aussi heureux qu’au Bouthan (pays qui compte le BIB le plus élevé de la planète soit dit en passant).

La Tunisie n’aurait pas perdu 200 de ces enfants en décembre 2010/janvier 2011 pour voir Ennahda au sommet du pouvoir. Morts pour rien, putain.

Aujourd’hui, ce n’est plus contre Ennahda que j’ai la haine – ils ont dépassés les bornes et ils savent qu’ils jouent aux cons et qu’ils le paieront un jour, tant pis pour eux. Par contre, ceux à qui j’ai envie d’explorer le cerveau pour voir ce qu’il y a dedans, ce sont les 40% de personnes qui n’auraient pas du se déplacer ce jour-là et que j’accuse d’avoir trahi la Tunisie et ces acquis et de l’avoir plongé dans le chaos en élisant ces héros de pacotille.

Regardez ces électeurs qui n’ont pensé qu’à leur petit intérêt et leurs fantasmes minables de gouvernement qui mélangerait vaillamment « politique » et « religion ». Vous avez du croire que voter pour Ennahda c’était la garantie d’aller au paradis, mais vous avez plongé le pays dans l’enfer. On ne vous remercie pas.

On peut prétendre vouloir suivre les mêmes lignes du modèle de l’AKP turc quand on est un pays laïc (voir les articles I, II et III de la Constitution Turque). Mais qui peut sérieusement penser qu’un pays qui rejette la laïcité, gouverné par des islamistes (qui plus est des branquignoles), va faire rêver qui que ce soit ?

Bref, depuis ce 23 Octobre 2011 où Ennahda a eu son « Grand Soir », la Tunisie patauge dans la masturbation intellectuelle. Sans arriver au bout. Un voyage au bout de la nuit moins passionnant que le roman éponyme et bien plus intense en imbécilité. Le père Bourguiba, là où il est, à du se retourner au moins 15000 fois dans sa tombe. Ouille.

Je ne reviens pas sur les épisodes du 6ème machin, des mères célibataires qui seraient une abomination pour la Tunisie, de la charia, de la femme complément de l’homme, l’Université de la Manouba, la clémence d’Ennahda envers les salafistes et de tous ces Tunisiens qui disent que c’était mieux sans Ben Ali, la nomination d’Ali Layaredh au poste de 1er Ministre (la meilleure). Rien qui n’inspire la fierté. De la bile sur pattes. Circulez, y’a rien à voir.

Ce gouvernement d’amateur a réussi à dégouter tout le monde : l’étranger, les Tunisiens, son Histoire, la Chance, Dieu, tout. Kairouan n’est qu’un échantillon de ce qu’est la Tunisie aujourd’hui, une ville sans espoir pour un pays maudit. Clap de fin. Examen raté.

Dieu n’est pas taillé pour la politique, il est fait pour être dans le cœur des croyants.

La religion c’est intime, pas show off. Un peu d’éducation et de philosophie, merde.

Enfin s’il est bien une chose qui a achevé de me rendre perplexe face à la situation actuelle, ce sont les affreux salafistes jihadistes, la plus grande honte de l’Histoire de la Tunisie.

Honnêtement, je ne sais pas si vous avez eu une vie dégueulasse à ce point pour tomber aussi bas, ou si vous croyez vraiment dans ce que vous dites/faites, mais entre l’Islam et vous il y a un cosmos. Donc pour votre argumentaire, il est un peu bancal…

Et regardez comme tout ce que vous faites est en-dessous de tout :

– Dés que Charlie Hebdo sort une caricature, on sort des allumettes et on brûle leur bâtiment. A ma connaissance, Dieu n’accorde pas de bonus pour ça.

– Dés que quelqu’un sort un film sur Mahomet, vous prenez la mouche et vous brûlez un lieu sacré : l’école. Je penche pour le Malus.

– Dés que Chokri Belaïd parle trop, vous le tuez. Pan Pan Pan Pan. Là … si vous aspirez encore au paradis, vous l’avez dans le baba.

Si j’étais vous, au lieu de brûler les lieux sacrés qui portent l’humain vers le progrès, brulez plutôt ceux qui génèrent la gangrène de l’extrémisme, de la médiocrité et de la haine envers autrui en Tunisie. Là au moins vous serez utiles (et vous aurez même ma reconnaissance).

Enfin, pour terminer, une petite anecdote : Rached Ghannouchi était le professeur d’Instruction Islamique de mon père dans les années 1970 à Kairouan au lycée de la Mansoura et les relations entre Ghannouchi et mon père étaient telles que ce professeur l’appelait « el kefer » (le mécréant).

Je vais faire miennes mes lignes favorites des Mains Sales de J-P Sartre et me poser la question suivante : aujourd’hui, qui dort le mieux entre eux deux ?

Le soi-disant « kefer », qui suit une brillante carrière, qui fait honneur à son pays d’origine par sa réputation scientifique et ses travaux et qui laissera à ces 3 enfants un nom qu’ils sont et seront fiers de porter, ou le cafard en personne qui ne peut même plus marcher seul dans la rue sans ses gardes du corps, qui mangeait le bifteck grâce aux aides sociales financées par le contribuable britannique pendant que ses copains croupissaient dans les geôles de Ben Ali, dont 20 années d’exil ne l’auront pas écarter de la connerie comme projet de société et dont sa descendance vivra avec la honte d’avoir eu cet ascendant, qui est à tout point de vue Hugo des Mains Sales : « Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? » ?

Bali, le 24/02/2013
I. S