La semaine politique du 28 avril au 5 mai a tout d’une semaine irrationnelle. Les esprits les plus cartésiens y ont été surpris d’apprendre, tour à tour : la candidature d’un octogénaire, « la quatre-vingtaine » bien sonnée, dans le pays de la révolution des jeunes, un charlatan wahhabite remplir les stades, une armée régulière en guerre ouverte contre un ennemi intérieur, et un 1er mai politiquement surréaliste.

polit-revue#33


Une candidature venue d’ailleurs

En Tunisie, nous connaissions la présidence à vie. Nous savons à présent à quoi ressemble une candidature de l’après-vie !

Le 28 avril, c’est à sa chaine fétiche, Nessma TV, que Béji Caïd Essebsi réserve la primeur de l’annonce controversée de sa candidature à la magistrature suprême, alors même que l’on ne connait pas encore avec certitude la prochaine date des élections, ni les prérogatives de la prochaine présidence.

Problème : l’actuelle Constitution, certes caduque, limite l’âge des présidentiables à 75 ans, mais surtout l’actuel projet de Constitution avait récemment reconduit en commission cette limitation, dans son article 72. Un détail apparemment pour BCE, qui balaye d’un revers de main le travail en cours des constituants, avec une certaine condescendance assez typique du ton Nidaa Tounes depuis quelques mois.

Alors manœuvre politicienne, coup de poker, ou simple caprice authentique cette candidature de prestige ? Bien malin est celui qui pourrait trancher aujourd’hui, d’autant que sur la forme, l’annonce, unilatérale, déstabilise et embarrasse même les alliés d’Essebsi.

Les jours suivants, les réactions iront du plus indigné au plus pragmatique. Taher Ben Hassine, patron de presse qui s’était retrouvé « presque contraint dans le bureau exécutif de Nidaa », rappelle-t-il, fulmine contre une « décision cavalière qui n’engage que son auteur ». Tandis qu’Ahmed Néjib Chebbi faisait allégeance à « Si el Béji », rappelant au passage tout ce que le centrisme a de conciliant, voire d’intéressé, en temps de pré-campagne.

Pendant que les experts continuent à pointer du doigt les contradictions de la version finale du projet de Constitution, un texte qui entend mêler les particularismes identitaires à l’universel, la classe politique était occupée à des considérations plus terre-à-terre, en parvenant en marge du dialogue national à un accord sur la nature du futur régime politique du pays : ce sera, comme pressenti, et malgré le bluff d’Ennahdha, un régime mixte, semi présidentiel.

Les inconditionnels de « Bajbouj » pourront toujours arguer qu’il met les futurs législateurs en difficulté. Si la limitation d’âge passe et le met hors d’état de nuire, il pourra toujours dénoncer une cabale contre sa personne.

Fête du travail : l’incompréhensible stand du CPR

Photo Seif Soudani

Rassemblement traditionnel Place Mohamed Ali, plus politisé qu’à l’accoutumée étant donnés les souvenirs encore vivaces de l’attaque du siège de l’UGTT et de l’assassinat de Chokri Belaïd, marches des syndicalistes et de leurs formations politiques amies… jusque-là rien à signaler, ou presque, pour l’édition 2013 du 1er mai.

Soudain, un OVNI : les défilés croisent le stand très sonore du CPR, Avenue Bourguiba. Au-delà de l’image lourde de conséquences d’un parti nécessitant un quadrillage strict des forces de l’ordre le protégeant par précaution, il y a lieu de s’interroger : un parti représentant le pouvoir en place a-t-il vocation à occuper la rue le jour d’une fête à coloration ouvrière ?

La teneur très provocatrice des discours des intervenants qui se succèderont à la tribune CPR ce jour-là suffit à renseigner sur les motivations réelles de l’opération.

On l’aura compris, ce parti qui jadis avait beaucoup capitalisé en termes d’image sur son rôle dans la révolution, n’entend plus laisser la rue à la gauche radicale. Mais le discours employé, très frontalement anti gauche tunisienne, scelle un processus devenu flagrant : celui de la droitisation du CPR.

Particulièrement remarquée, l’intervention de Tarek Kahlaoui, survolté et agressif, est digne des théories sur les « nouveaux chiens de garde de la droite révolutionnaire », le conseiller de Marzouki accusant l’extrême gauche de faire le jeu de l’ancien régime.

Résultat des courses : le CPR donne à voir l’image d’un parti qui n’a pas su se renouveler, cantonné à de slogans obsolètes. Le parti présidentiel est passé en deux ans d’une alliance régulatrice de l’islam politique au statut d’allié idéologique lui-même objectivement conservateur.


Le wahhabisme en quête de nouveaux clients

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Mardi, alors que les jeunes recrues de la Garde nationale sont aux prises avec les mines anti personnelles artisanales des djihadistes à Kasserine, deux élus Ennahdha déroulent le tapis rouge au prédicateur égyptien wahhabite Mohamed Hassen, via un accueil ostentatoire et bling-bling aéroport Tunis-Carthage.

Un temps incertain en raison de la levée de boucliers de la société civile, l’illuminé télévangéliste vient finalement cueillir un fruit mur : celui d’un public fidélisé par les chaines satellitaires et le web superstition 2.0, et ce en dépit du caractère souvent grotesque de certaines envolées, allant jusqu’à affirmer être mandaté et béni par le Prophète en personne. Un grand classique du charlatanisme.

Après avoir rempli les stades de plusieurs régions tout au long de la semaine, l’escale balnéaire du prédicateur à Hammamet finit par faire réagir le nouveau ministre du Tourisme, samedi 4 mai.

Jamel Gamra, ex PDG de la CTN, déclare que les visites des prédicateurs étrangers « doivent se dérouler dans un cadre déterminé et ne pas contrevenir à la loi », et que « ces visites ne doivent pas induire de nuisances ou créer un climat violent ». Une façon d’interdire à demi-mot les prochaines invasions de l’espace public, notamment sur la plage, à l’approche de la haute-saison touristique.

Réagissant aux tragiques évènements de Châambi, Ali Larayedh déclare quant à lui lors d’une conférence de presse que « ceux qui plantent la mort n’ont aucun avenir en Tunisie ».

Au moment où plusieurs blessés graves tombent à Chaambi lors du ratissage de l’armée d’une zone minée par des terroristes, même si Sadok Chourou et Habib Ellouze correspondent à une aile excentrique, idéologiquement exotique au sein du parti, l’heure du choix a sonné pour Ennahdha, si tant est que le parti veuille avoir une position cohérente et crédible, ne serait-ce qu’au niveau du discours.

Seif Soudani