Siège du parti Ennhadha à Tunis

Depuis samedi 17 août, le conseil de la Choura d’Ennahdha, organe décisionnel du parti, discute des options politiques pour engager de nouveaux pourparlers avec l’UGTT lundi matin. Tenue à huis-clos, la réunion organisée avec les 150 membres du conseil devra prendre une décision finale par le vote à la majorité.

Le parti Ennahdha semble avoir encore des cartes à jouer. Depuis jeudi 15 août, les déclarations se sont multipliées dans la presse, aussi bien du côté du leader Rached Ghannouchi, qui a affirmé vouloir maintenir Ali Larayedh comme Premier ministre que, du secrétaire général Hamadi Jebali, qui a admis regretter que son parti n’ait pas opté pour un gouvernement de technocrates lors du dernier remaniement. Selon des sources au sein du parti Ennahdha, ce sont ces deux options qui sont discutées actuellement au sein de la Choura.

L’un des membres Houcine Jaziri a évoqué sur la radio Shems FM plusieurs « initiatives sérieuses » « pour éviter la « violence ». Des rencontres médiatrices ont eu lieu également avec des représentants de la communauté internationale, comme le ministre des Affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, ou encore l’ambassadeur américain Jacob Walles.

Le conseil, qui travaille sur une feuille de route élaborée par le bureau exécutif, doit évoquer deux scénarios de sortie de crise. Le premier, vers lequel tend une grande partie d’Ennahdha, serait le maintien du gouvernement actuel avec Ali Larayedh à sa tête. Ce gouvernement s’ouvrirait toutefois à d’autres familles politiques dans l’objectif de constituer un « gouvernement d’union nationale ». Ce scénario avait été proposé en avril dernier lorsque le conseil avait statué à la suite de la proposition de Hamadi Jebali de démissionner pour laisser un gouvernement de technocrates se former.

Le parti avait réagi en proposant un nouveau gouvernement et en octroyant les ministères régaliens à des « indépendants ». Aujourd’hui, si la proposition du parti islamiste ressemble à celle faite après la mort de Chorki Belaïd, une nouveauté s’y ajoute.

Une instance parallèle

Les membres du parti Ennahdha voudraient en effet proposer, en plus du gouvernement, la mise en place d’une instance parallèle au gouvernement et à l’assemblée. « L’idée serait d’avoir une instance composée d’un large éventail de représentants politiques et de personnalités nationales indépendantes », déclare un membre du parti Ennahdha.

« Nous avons fait un constat : le double rôle de l’ANC depuis un an et demi, qui doit faire la constitution et voter des lois, a généré un retard conséquent sur le respect du calendrier électoral. L’idée serait de la décharger d’une partie de son travail, avec cette instance qui superviserait l’organisation des élections dans les délais. »

Aucune précision n’a été donnée sur les réels pouvoir de cette instance, qui semblerait n’avoir pour l’instant qu’une vocation consultative.

Aller vers les demandes de l’opposition

L’autre option évoquée par le conseil porte sur les revendications de l’opposition, notamment sur la proposition d’un gouvernement de technocrates. Ce deuxième scénario forcerait Ennahdha à accepter la formation d’un gouvernement « apolitique » et sans le Premier ministre Ali Larayedh.

Au regard des dernières déclarations dans la presse de Rached Ghannouchi, destituer Ali Larayedh de son poste ne semble pas à l’ordre du jour. « Bien qu’une certaine minorité au sein du parti serait pour ce gouvernement de technocrates, la tendance générale va vers le maintien de Larayedh », selon une source qui admet que quelques membres du parti, une certaine minorité, ne partagent pas cet avis.

« Certains militants de la base sont mécontents du rendement du gouvernement, et estiment qu’il y a eu du laxisme et qu’il faut en effet neutraliser les ministères. »

Mais les membres du parti semblent être unanimes sur la nécessité de « finir le processus de transition », d’où l’insistance de Rached Ghannouchi lors de sa conférence de presse sur une feuille de route en vue des élections. Cette idée a été répétée dans le communiqué de presse à l’issue de la conférence, qui a présenté une vision claire pour la suite des événements, avec comme priorité l’élaboration d’un décret-loi électoral, la mise en place de l’ISIE et l’accord sur le fait de tenir des élections à la fin de cette année.

« Notre objectif majeur est de finir le processus de transition et d’aller au bout de ce processus. Le bras de fer a déjà été joué ces dernières semaines : Ennahdha est descendue dans la rue pour montrer, face aux sit-in de l’opposition, qu’elle avait également une assise populaire. L’heure est maintenant aux négociations. » a déclaré un membre.

La difficile acceptation des « technocrates »

Pour le politologue Slaheddine Jourchi, trancher entre les deux scénarios ne sera pas si facile pour Ennahdha.

« Si la société civile et l’opposition continuent de faire pression, le parti risque de se trouver réellement au pied du mur. Et les discussions du conseil de la Choura arrivent dans un contexte très tendu. Le parti est pris entre deux positions contradictoires : il doit dire « non » à certaines tendances politiques qui veulent le déstabiliser, et en même temps préparer un terrain favorable pour faire des concessions. »

Exemple d’une concession de taille : la remise en question partielle de la loi d’immunisation de la révolution, qui ne figure plus dans l’ordre du jour annoncé par le parti d’ici les prochaines élections.

Pourtant le projet de loi, débattu à l’assemblée et objet d’un vrai bras de fer, a été fermement défendu par les islamistes.

« Il se peut que l’on propose finalement de l’inclure dans le projet de loi sur la justice transitionnelle. Le sujet sera discuté dans le conseil de la choura puisque c’est ce même conseil qui avait proposé la loi.» selon un des membres.

Riadh Chaibi, membre du bureau exécutif, ajoute que les débats sur ce projet de loi pourraient être repoussés au profit du vote d’un décret-loi électoral et de la mise en place de l’ISIE. Si rien n’est encore sûr, le recul sur ce texte qui visait à éviter le retour des anciens du régime Ben Ali sur la scène politique semble être un premier compromis. Encore aujourd’hui, pourtant, certains membres d’Ennahdha font l’amalgame entre un gouvernement de technocrates et le retour des Rcdistes sur la scène politique.

C’est le cas du député Oussema Al Sghaier, qui a déclaré à Al Jazeera qu’un gouvernement de « technocrates est dangereux pour le pays(…). Quand on dit technocrates, on parle des gens qui ont travaillé toutes ces années avec Ben Ali » [traduit de l’anglais].

Réunion secrète avec Béji Caïd Essebssi

C’est pourtant vers des concessions que semble s’être orienté Ennahdha, avec la rencontre entre Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebssi qui a eu lieu à Paris après la conférence de presse de Rached Ghannouchi. Tenue secrète, la réunion entre les deux leaders peut signifier des changements de taille pour le parti Ennahdha.

Pour Slaheddine Jourchi, cela pourrait affaiblir les deux forces politiques :

« Cette rencontre est un acte marquant sur le plan politique, puisqu’elle a lieu entre deux personnalités qui jouent un rôle de premier plan dans les négociations. Mais, à moyen terme, cela pourrait affaiblir Ennahdha, qui a joué son discours politique sur une rhétorique très dure à l’égard de Béji Caïd Essebssi. Mais cela peut jouer aussi un mauvais tour à Nidaa Tounes, dans la mesure où l’extrême gauche, avec qui il y avait peut-être une possibilité d’alliance, attendra beaucoup de cette rencontre. Si les attentes ne sont pas satisfaites, Béji Caïd Essebssi perdra en crédibilité auprès de cette gauche. Cette rencontre montre néanmoins que les partis ont dépassé les chantages mutuels. »

La décision de la Choura sera donc le fruit de ces discussions internes et externes au parti, et jouera un rôle crucial dans les négociations de lundi avec l’UGTT. Du côté d’Ennahdha, la dissolution de l’assemblée n’a même pas été discutée au sein de la Choura, son maintien restant indiscutable pour les membres du parti.

La page officielle d’Ennahdha international a même publié aujourd’hui un communiqué, dans lequel le président de l’assemblée, Mustafa Ben Jaâfar, aurait appelé à reprendre les travaux de l’assemblée, qu’il avait suspendus le 6 août. L’intéressé a confirmé l’information sur la radio Jawhara FM ce dimanche 18 août, en déclarant qu’il appelait « l’ANC à reprendre ses travaux dans les plus brefs délais ». Noureddine Bhiri, membre du conseil de la Choura, a annoncé la tenue imminente d’une conférence de presse pour donner des détails sur les décisions de ce week-end.