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Les choses commencent à se décanter et à devenir de plus en plus claires même pour les plus naïfs d’entre nous. Dans l’actualité politique récente de notre pays, on peut relever trois faits intéressants, qui en apparence n’ont pas de lien direct entre eux, mais qui en fait procèdent de la même stratégie et laissent peu de doute quant aux visées de nos augustes dirigeants aujourd’hui

Acte 1

Le président BCE, use de ses prérogatives pour présenter, toute honte bue, au Conseil des ministres puis à l’Assemblée, un projet de loi qu’il qualifie joliment de «réconciliation» mais qui, à y voir de près, n’est autre qu’une impunité qui ne dit pas son nom qui garantit à tous les affairistes véreux un lavage plus blanc que blanc, à condition qui aient participé activement au financement de la campagne de Nidaa. Évidemment, le projet de loi ne présente pas les choses de manière aussi directe. Mais c’est un peu comme lorsque vous êtes obligés de passer par un appel d’offres pour octroyer un marché, et que vous avez un ami ou un cousin que vous souhaitez favoriser. Vous avez toujours l’option de mettre en place des critères techniques précis qui font qui sera le seul adjudicataire possible. Sans parler des intentions à peine cachées et de l’agenda politique, qui consiste évidemment à couper l’herbe sous les pieds de l’IVD présidée par Sihem Ben Sedrine et de lui ôter tout pouvoir réel d’agir dans les faits (pouvoir constitutionnel qui émane de l’ANC pour mémoire et donc par la volonté populaire) en se substituant à elle et en vidant le mandat de sa substance.

Inutile de préciser que ceux que BCE compte bien «amnistier» n’ont jamais contribué à la croissance économique et encore moins au développement de notre pays…Création d’emplois et paiement des impôts étant le dernier de leurs soucis, ils ont passé les 30 dernières années à mettre le pays en coupe réglée, à se partager le gâteau à coup de corruption et de clientélisme politique, à saigner à blanc les richesses produites par la communauté et à monopoliser toutes les ressources du pays au moindre coût sans autre objectif que d’assouvir leur gloutonnerie pathologique et insatiable… Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne où la bourgeoise des affaires a joué un rôle indéniable dans l’essor industriel et l’émergence d’une croissance liée aux fondamentaux de l’économie, l’écrasante majorité de nos affairistes véreux sont motivés essentiellement par la spéculation, le gain rapide et facile en utilisant une main-d’œuvre malléable et corvéable à merci sans état d’âme (d’où le nombre faramineux de centres d’appels et autres boîtes à sardines du genre où on entasse des milliers de bac + 4 en leur faisant croire que passer sa vie derrière un téléphone avec 400 dinars par mois vaut mieux que de rejoindre les bataillons de chômeurs laissés sur le carreau)… Je vous laisse imaginer la valeur ajoutée ou le niveau de compétitivité mondiale que ce genre de paradigme peut offrir à notre pays (pensez juste à la Corée du Sud qui au début des années 60 était un pays comparable à la Tunisie en matière de développement et encore moins bien loti en matière de ressources naturelles… Je ne pousserai pas le bouchon jusqu’à rappeler qu’ils ont subi dans leur chair l’occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’est pas une sinécure).

Acte 2

Zohra Driss, héritière d’une famille milliardaire qui contrôle des pans entiers de l’économie à Sousse, et réputée pour être proche de l’ancien régime, profite de l’odieux attentat qui a eu lieu dans un hôtel qui lui appartient, pour dicter au gouvernement une série de mesures. Ces mesures, officiellement destinées à sauver le secteur touristique du désastre, sont en fait destinées encore une fois à faire les choux gras des gros bonnets qui, pour rappel, ont largement contribué à saigner les banques publiques à blanc via les créances douteuses (déficit qu’on demande aujourd’hui gentiment au contribuable lambda de combler). Ce train de mesures n’est donc ni destiné à soutenir l’économie du pays, encore moins à venir en aide à ceux qui subissent de plein fouet le licenciement ou la précarité liés à cette crise …Que nenni, il s’agit simplement d’un diktat que cette brave Zohra a réussi à faire passer, sans même avoir à forcer, avec la connivence de sa copine chez Nidaa et femme d’affaires notoirement RCDiste Selma Elloumi, qui se trouve être ministre du …Tourisme (au passage, remarquez le mélange des genres, un ministre du Tourisme qui gère le budget de l’état, on n’est pas à un paradoxe près puisque Mohsen Marzouk s’est transformé en ministre des AE et président-bis, et ce n’est pas le timoré Slim Chater qui osera moufter). Sans doute par pur hasard, Zohra Driss siège également l’ARP en tant que députée Nida…Honni soit qui mal y pense !

Acte 3

Mohamed Frikha, un homme d’affaires, inconnu de la scène politique avant 2011, ayant réussi dans le domaine des TIC, après avoir lancé une compagnie aérienne répondant au nom de Syphax Airlines dans des conditions scabreuses (notamment financée par une augmentation de capital d’une société lui appartenant et cotée en bourse opérant dans un domaine complètement diffèrent …) commet un vrai hold-up en se voyant retirer l’agrément par l’IATA (Association internationale du transport aérien, est l’autorité qui régule l’aviation civile et sans l’aval de laquelle aucun objet aérodynamique ressemblant à un avion de passagers ne peut légalement prendre de la hauteur) pour avoir «omis» de payer ses cotisations… Des milliers de petits actionnaires et de passagers ayant payé leurs billets se retrouvent donc à manger leur pain noir… Les rares personnes qui avaient alerté dès le début de l’affaire (notamment le blog facebookien El Kasbah) sur le côté malsain de ce montage et les risque énormes y afférents s’étaient faites traitées de jalouses du success story de Frikha ou encore de régionalistes dévorées par la haine anti-sfaxienne et autres aménités du genre…Vous me direz, mais des affaires comme cela on en entend tous les jours et même dans les pays les plus démocratiques (Madoff aux States et autres)…Oui mais le hic, c’est qu’entre temps, notre ami Frikha qui est tout sauf imbécile, a eu la présence d’esprit de se lancer dans la politique…Pour maximiser ces chances, l’énergumène n’a pas craché dans la soupe électorale en se présentant à la fois aux législatives sur une liste nahdhaouie se découvrant sur le tard des affinités islamistes (sans doute une espèce d’inspiration divine comme les prophètes et les saints peuvent en recevoir du ciel) et aux présidentielles, sait-on jamais qu’il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier…Résultat des courses, notre Madoff national, jouissant de la confiance de son bon et gentil peuple, se retrouve aujourd’hui élu sur les bancs du Bardo, et donc potentiellement intouchable «grâce» à son immunité parlementaire….Alors qu’au départ la ficelle était assez grosse (faire une augmentation de capital pour une société cotée en bourse doit exclusivement servir à investir dans les mêmes activités, soit par extension de l’existant soit par rachat d’une entité concurrente etc…Mais en aucun cas à financer une autre société, qui de surcroit opère dans un domaine complètement différent simplement parce que les risques encourus ne sont pas les mêmes et qu’il s’agit d’un cas patent d’abus de confiance du petit actionnaire qui avait placé son épargne se basant sur d’autres hypothèses…C’est un peu comme si j’empruntais de l’argent à la banque pour acheter une voiture, puis passais la soirée au casino avec le même argent !

De prime abord, ces trois mésaventures plus rocambolesques les unes que les autres, ne semblent pas être liées…Et pourtant, à y réfléchir de près, il semblerait de l’appétit des affairistes tunisiens pour s’impliquer dans la politique soit de plus en plus vorace…En effet, dans l’assemblée actuelle il y a près de 30 businessman (en gros un élu sur sept est un homme d’affaires…Je serais très flatté si cela était statistiquement représentatif du pays réel !) partagés pour l’essentiel entre les deux partis hégémoniques Nidaa (RCD new wave) et Nahdha (RCD barbu)…D’un certain point de vue, cette situation est même plus grave que sous le régime de Zinochet…Parce que sous Zinochet, il y avait une espèce de paroi étanche entre les deux sphères économique et politique, un genre de modus vivendi. Il y avait bien sûr la dizaine de familles mafieuses qui prélevaient leur racket à la source si peux oser l’expression, puis des magnats de l’économie qui avaient scellé une espèce de pacte tacite avec le régime, un genre de compromis ou elles s’engageaient à ne pas interférer en politique (en soutenant évidemment financièrement le RCD au besoin donc régulièrement) en contre partie de quoi le régime leur concédait la mainmise sur les secteurs juteux de l’économie à coup de mesures protectionnistes. Le deal a bien fonctionné pendant la première décennie Ben Ali (bien fonctionné pour les deux parties j’entends certainement pas pour le pays et sa population)…Par contre, avec l’avènement la deuxième décennie quand les «parvenus» mafieux ont supplanté les «aristos» mafieux (Mabrouk out, Trabelsi in), l’équilibre a été rompu parce que les Trabelsi étaient devenus tellement gloutons qu’ils ne laissaient plus que des «miettes» (à l’échelle des magnats de l’économie j’entends bien) pour les autres…D’où le lâchage de Zaba par la clique des affairistes véreux durant les dernières années de son sinistre règne….

Aujourd’hui, le danger imminent qui mine la scène politique tunisienne, c’est que le champ de politique attise l’appétit des affairistes véreux. Sinon pourquoi un Nabil Karoui, un Faouzi Elloumi, une Zohra Driss, un Frikha ou un Sellami se casseraient la tête à perdre temps, argent et énergie ailleurs que pour faire fructifier leurs affaires ? N’est-ce pas la vocation naturelle d’un entrepreneur dans un système capitaliste ? Nos entrepreneurs à nous seraient-ils tous des Gandhi en herbe mus uniquement par des valeurs tel que l’intérêt de leur pays, l’amour du bien commun et l’altruisme au détriment de leur santé et de leur vie en y consentant tous ces sacrifices …Voyons donc ! La réponse est limpide et ne souffre aucun doute : ils s’impliquent dans le champ politique pour s’offrir une nouvelle virginité, pour continuer à pomper impunément les richesses du pays sans s’acquitter de leurs impôts et en méprisant toutes sortes de législations (environnement, droit du travail, cotisations sociales et j’en passe)…
Aujourd’hui il ne faut plus se voiler la face, ce sont les Bouchamaoui et consorts, que personne n’a élus, qui dictent au gouvernement actuel ce qu’il doit et ne doit pas faire …Bien sûr, le robinet d’argent sale qui a fonctionné à pleins pots pour financer aussi bien Nidaa que Nahdha pendant la campagne, met en otage nos politiciens élus face à ces vampires ( à supposer que les premiers soient animés de bonne volonté pour faire bouger ou changer les choses, ce dont je doute comme de la bonne moralité d’Al Capone).

Corollaire de tout ce remue-ménages

Nous nous trouvons de fait dans une situation fort semblable à celle de la Russie après l’effondrement du communisme (toutes proportions gardées)…C’est-à-dire que nous sommes face à un système où les oligarques se positionnent profitant de la faiblesse du président et de la faiblesse des institutions démocratiques encore à un stade de développement embryonnaire (un BCE cacochyme et clownesque me rappelle dangereusement un Eltsine ivrogne et manipulé par son entourage) …

Cela nous ramène aussi à l’été 2013, quand profitant des deux assassinats politique et du putsch égyptien, les forces de la contre-révolution avaient compris que le fruit était mûr et qu’il fallait le cueillir. Ils ont alors financé et organisé le sit-in «surfait» du Bardo, évincé leurs adversaires du gouvernement sous prétexte de technocratie pour neutraliser la dimension «politique» du débat et dérouler leur scenario jusqu’à l’apogée avec la double élection de Nidaa-BCE fin 2014. Les forces de la révolution n’ont pas fait preuve de la même détermination hélas …

Il y avait probablement encore une possibilité pour limiter les dégâts avec les élections de 2014, mais une bonne moitié de la population a préféré succomber aux sirènes de la facilite du confort intellectuel, du court-termisme égoïste et au fantasme du danger imminent d’une dictature théocratique en avalant la pilule du vote utile…Maintenant je crains fort que le ver ne soit déjà dans le fruit.