Après le document, fuité par Wikileaks, du Département de l’agriculture des États-Unis (US Department of Agriculture, USDA) en 2010 où on retrouve le nom du « Spécialiste agricole » Youssef Chahed, Nawaat revient sur la carrière du nouveau Premier ministre en tant que fonctionnaire du Service agricole étranger (Foreign Agricultural Service, FAS) de l’USDA.

Peu avant son départ pour une ascension politique fulgurante, il signe un Rapport annuel 2014 biotechnologie agricole. Le document offre aux chercheurs, entrepreneurs, et lobbyistes américains en biotechnologie une vue détaillée du marché, de la production, et des régulations gouvernant le domaine en Tunisie.

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Ni débat public, ni cadre légal

Le mot biotechnologie est utilisé dans le rapport maintes fois sans aucune référence au terme plus usuel d’« OGM » trop souvent utilisé pour dénoncer les pratiques commerciales des multinationales à l’instar de Monsanto.

D’après Chahed, l’activité biotechnologique dans le pays se limite à la recherche dans des instituts et laboratoires soutenus par l’Etat, qui dans ce cadre aurait « implémenté une politique fortement favorable à la biotechnologie agricole ». Au-delà de cet appui pour la recherche, et malgré l’établissement d’une Stratégie nationale sur la biosécurité suite à la ratification en 2002 du Protocole de Cartagene, la Tunisie n’a toujours pas de cadre légal pour les produits biotechnologiques, constate l’auteur du rapport. Effectivement, une nouvelle législation qui devait être adoptée par le parlement de Ben Ali mais la chute du régime a « rapporté sin die » la promulgation de la loi qui n’était plus une des priorités postrévolutionnaires des députés.

D’une part cela serait relié au fait que le débat sur la biotechnologie n’existe pas dans l’opinion publique puis que « la connaissance tunisienne de cette problématique est minime ». Chahed prévoit par contre « un débat intense dans les prochaines années opposants les pro- et les anti-biotechnologie, notamment influencé par la politique européenne… »

A part les décideurs politiques et l’opinion publique, Chahed estime que les grands agriculteurs pourraient bénéficier des avantages économiques en cultivant des plantes génétiquement modifiées. Pour les petits agriculteurs, qui représentent la majorité des producteurs agricoles, il suggère la possibilité de subventionner les semences transgéniques.

Les OGM ça s’importent… des Etats-unis

En attendant une production significative, l’ouverture d’un débat public et une nouvelle législation pour le suivi et le contrôle des produits génétiquement modifiés, leur commercialisation (et plus spécifiquement leur importation car la Tunisie n’exporte pas de produits biotechnologiques). Selon Chahed, une étude menée par le Ministère de la Santé a constaté que «  l’alimentation humaine est sans matière génétiquement modifié tandis que l’alimentation du bétail en contient un haut niveau », ce qui s’explique par l’importation en Tunisie des produits biotechnologiques sur lesquels elle reste dépendante pour les animaux.

La législation existante sur l’importation des produits agricoles traite des semences et des plantes (Décret n° 2002-621 du 19 mars 2002), de la protection des végétaux (Loi n° 92-72 de 3 aout 1992), du contrôle sanitaire vétérinaire (Loi n° 99-24 du 9 mars 1999) ainsi que de l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires préemballées (Arrêté du Ministère de l’Economie du 22 juillet 1985), mais ces dispositions «  ne restreignent pas, ne contrôlent pas, n’autorisent pas » les produits biotechnologiques. Une faille juridique déja relevée en 2008 par l’USDA qui a constaté que « des exports de farine de maïs et de soja provenant des États-Unis, généralement estimés contenir des proportions variées de matière génétiquement modifié, continuent à bénéficier d’un accès libre au marché ».

Au moment où le rapport a été publié, les États-Unis se plaçaient au sixième rang des partenaires commerciaux de la Tunisie avec une exportation importante d’huile, semences et céréales. Dans le texte préparé par l’actuel Premier ministre, la Tunisie n’est qu’un marché propice pour des produits agricoles américains. Rien sur le principe de précaution sanitaire, encore moins la question de la souveraineté alimentaire. Ainsi, une section est dédiée au « renforcement des capacités et sensibilisation » où Chahed décrit les actions du FAS/Tunis.

Quatre ans après la chute du régime, il s’obstine à considérer comme une « réussite », le fameux atelier de 2010 – recommandé par l’ancien ambassadeur Gordon Brown- « 200 décideurs politiques, leaders d’opinion, parlementaires, et société civile » ont été ciblés, un échange avec Oklahoma State University pour consolider des relations « à long-terme » entre les scientifiques tunisiens et américains et un programme pour fournir aux « responsables clés du gouvernement une meilleur compréhension des réalités commerciales aux États-Unis pour qu’ils n’imposent pas de régulations restrictives ».

Pour le FAS ainsi que le Bureau des Affaires Agricoles (Office of Agricultural Affairs, OAA) à l’Ambassade Américaine de Tunis, leur principale mission est de « promouvoir et faciliter l’exportation des produits agricoles américains ». Derrière le langage policé, se cache la persistance du gouvernement américain à travers les années dans sa politique agricole étrangère et particulièrement son lobbying pour occuper une position dominante dans le marché internationale des produits transgéniques.