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Crédit photos : Raphaël Bodin

Vendredi 11 novembre, à Tabadoul, espace culturel et écologique, le coup d’envoi est donné à un forum citoyen rare en son genre à Tanger. Dans un décor constitué de pneus récupérés, de palettes de bois, orné de tableaux de peinture d’un émigré camerounais, le lien entre combat climatique et un changement politique inévitable est clair. Boualam Azahoum, militant marocain et l’un des initiateurs de l’Odyssée, ouvre le feu sur le « Makhzen » et ses alliés politiques. « Nous sommes ici pour rappeler que justice climatique rime avec démocratie et dignité. L’Odyssée des alternatives ne fait pas partie du folklore occidentaliste qui orne les festivités de la COP22 mais se place dans une continuité de contestation permanente contre la répression sous toutes ses formes », martèle le militant, avant d’exprimer son soutien aux milliers de manifestants sortis le jour même à El-Hoceima pour dénoncer l’assassinat de Mohsen Fikri. « Cette COP, déjà polluée par la présence sioniste, ne nous représente pas. Mais nous n’allons pas nous taire. Solidaires avec nos amis et camarades qui ont choisi le boycott, nous irons à Marrakech pour marquer notre dénonciation de cette mascarade », promet Boualam.

Des Tunisiens qui font partie de l’Odyssée ont fait le déplacement à Tanger par bateau et par avion, pour porter le message des communautés qui souffrent du changement climatique en Tunisie. L’équipe tunisienne, constituée principalement de jeunes de Stop Pollution, présente la catastrophe écologique à Gabès, similaire à celle que vivent les Marocains de Safi. La mort tragique d’Abdelkader Zidi, asphyxié par le gaz à Gabès, ressemble à celle de Mohsen Fikri. « Nous sommes tous victimes d’un système polluant, injuste et réprimant qu’on n’a pas choisi », dénonce Khayreddine Debaya en brandissant le portrait de l’ouvrier tunisien sur la scène de Tabadoul.

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Rachid Rakmi, 50 ans, membre du comité administratif de l’Association marocaine des droits humains, fondée en 1996, fait partie des partenaires marocains de l’Odyssée. Et pourtant, il ne prend pas la parole devant la salle de Tabadoul archicomble. Il arbore un sourire calme, défiant les autorités marocaines représentées par une société civile partisane présente à l’événement. Malgré qu’elle soit l’une des associations locales les plus actives dans les préparatifs, la MDS a été écartée du tableau pour laisser la place à la Coalition marocaine pour la justice climatique, formée en 2016 pour « diriger la société civile en marge de la COP22 ». Une condition non négociable pour permettre aux organisateurs de tenir leur événement.

« Cette COP22, où des milliards de dollars sont gaspillés dans les réceptions et les hôtels, est une honte. Les millions de Marocains qui souffrent de malnutrition, du manque d’éducation et de couverture sociale, ne tireront aucun profit de cette conférence, tout comme les Tunisiens, les Algériens ou même les occidentaux. Alors que reste-t-il à faire ? À mon avis, la solution est de s’unir contre l’impérialisme, la colonisation des multinationales et l’oligarchie dominante sur les deux rives de la Méditerranée », explique Rachid, qui prépare à une conférence, samedi, interdite par les autorités marocaines.

Samedi 12 novembre, sur la grande espalanade de La Playa, qui fait face au port de Tanger, le Forum citoyen continue sous forme d’ateliers. Pour confisquer la parole aux officieux de la COP, la méthode la plus efficace, pour les militants de l’Odyssée, est de mettre en valeur les alternatives citoyennes. Les différentes langues et dialectes se mêlent pour dresser un seul état des lieux accablant, et échanger des bonnes initiatives. Ainsi, l’expérience de Jemna inspire les Marocains sans terres de l’oasis de Feguig. La gestion des déchets en France, les communautés luttant pour un accès équitable à l’eau en Italie inspirent les autres assoiffés de solutions pour les mêmes problèmes.

Pour Guillaume Durin, militant d’Alternatiba Rhône et l’un des coordinateurs de l’Odyssée des alternatives, « le but de tout ce travail est de montrer que les solutions sont dans les mains de la société civile et des communautés militantes pour la justice climatique. Nous n’avons pas à accepter de vivre dans des villes polluées. Les énergies renouvelables ne doivent pas appartenir aux privés et aux multinationales mais aux citoyens. Les solutions existent, mais elles sont méconnues chez les peuples qui souffrent le plus du réchauffement climatique ».

S’apprêtant à quitter Tanger pour participer au village autogéré qui se greffe en marge de la conférence onusienne, les petits fils d’Ibn Battûta continuent de défier les blocages des plus forts. « La police politique interdit aux habitants de Marrakech de louer à la société civile non désirée. Près de deux milles personnes sont sans logement, et c’est justement notre cas », nous confie l’un des organisateurs, avant de préciser que, dimanche après-midi, une grande marche est prévue pour contester le monopole des plus gros pollueurs sur les négociations sur le changement climatique.