La crise politique est là, mes amis. Plus rapide encore que prévu. C’est vrai, elle était prévisible cette crise. Je parle de la crise du gouvernement, bien sûr. Et je pense au pauvre Youssef Chahed qui croyait tellement en sa bonne étoile qu’il ne sait plus où donner de la tête maintenant que le compte à rebours a commencé. Adoubé par le président de la République comme chef du « gouvernement d’union nationale », ce jeune technocrate, fils de bonne famille, libéralo-américanophile, avait, vaille que vaille, réussi à rassembler autour de sa personne tous ceux qui en avaient marre de l’instabilité et du désordre chroniques engendrés par la révolution. Considéré comme plus malléable que Habib Essid, il avait été soutenu par la majorité des députés et par d’autres, de moindre importance, qui y ont vu une occasion de se glisser au sein du gouvernement. L’UTICA lui était favorable, l’UGTT, pareil. Les médias les plus influents l’ont acclamé, le présentant comme l’homme de la compétence, de la rigueur, de la fermeté, de l’efficacité, capable de gérer la Tunisie comme une entreprise. Bref, à entendre les uns et les autres, Youssef Chahed était l’homme qu’il nous fallait à la tête du gouvernement et nous devions lui faire confiance.

Finalement, en moins d’un an, la grande baudruche du « gouvernement d’union nationale » s’est dégonflée et la pseudo-union nationale avec lui. Comme le suggère un dessin de Belkhamsa dans La Presse, désormais, il y a plus d’ « union nationale » en dehors et contre le gouvernement qu’en son propre sein. Qui fait encore confiance à Youssef Chahed ? Apparemment, plus grand monde. De tiraillements en mini-crises, de défection en limogeage, jusqu’à l’éviction ces derniers jours de deux ministres et les rumeurs qui courent d’un prochain remaniement ministériel, le mirage d’un gouvernement d’union nationale, cohérent, qui privilégie l’action à la parole démagogique, la fermeté à l’indécision, s’est dissipé.

Au sein de l’opinion publique, les uns lui reprochent de n’avoir pas su soumettre les classes populaires à la « paix sociale », les autres de n’avoir rien fait en faveur des plus défavorisés ni contre les gros profiteurs et la corruption. Les grands médias qui n’avaient pas tari d’éloges sur ce nouvel homme providentiel mettent désormais en doute ses capacités à résoudre la crise. Youssef Chahed ne paraît plus aujourd’hui pouvoir s’appuyer sur les forces politiques sur lesquelles reposait son autorité. Déjà bien mal en point au moment de sa désignation au poste de Premier ministre, son parti, Nidaa Tounes, a littéralement explosé. Ennahdha qui l’avait soutenu, tout en regrettant son prédécesseur, semble, sans faire de vagues, prendre à nouveau ses distances. L’UGTT qui avait participé sans participer tout en participant au lancement de l’opération « gouvernement d’union nationale », est désormais (presque) franchement dans l’opposition. Déjà, s’expriment des voix appelant à former un nouveau gouvernement sous la houlette d’un nouveau Premier ministre. Comme toujours bien sûr, ce genre d’exigence s’exprime d’abord à la périphérie du pouvoir. Néjib Chebbi, pour commencer, fidèle à son obsession présidentialiste et toujours cohérent, constate le fiasco du gouvernement issu de la dernière « initiative présentielle » pour en appeler à une nouvelle « initiative présidentielle » pour sauver le pays du chaos (je me trompe sûrement, mais je n’arrive pas à interpréter les propos qu’il a tenus sur une des radios nationales autrement que comme un appel à quelque chose qui ressemble furieusement à un coup d’Etat). Mohsen Marzouk, pour sa part, prend partie pour l’un des ministres limogés et appelle à la constitution d’un gouvernement formé exclusivement de « compétences » et d’indépendants, de préférence sans Youssef Chahed. Tout cela évidemment sur fond d’extension des luttes sociales et de mobilisations importantes contre la loi sur la réconciliation « économique et financière », relayées au parlement par quelques petits partis et surtout par Ennahdha.

En somme, tout va mal pour l’actuel Premier ministre et il semble avoir bien des difficultés à cacher son désarroi. Comme tout chef de gouvernement qui sent que sa fin politique est proche, il tire à hue et à dia, menaçant d’avoir recours à la répression policière pour rétablir l’ordre et multipliant les concessions secondaires et – contrairement à ce qu’il prétend par ailleurs – les promesses sans conséquences. Certes, il pourrait avoir encore de la marge. L’opportunisme  et la corruption morale des forces politiques dominantes sont tellement immenses, leurs calculs tellement mesquins et à courte vue, qu’une recomposition des alliances autour de lui est toujours possible. Un événement quelconque pourrait précipiter sa chute comme lui donner un sursis. Mais, en tout état de cause, il est fichu.