La Loi de Finances 2018 vient de faire l’objet d’une entrevue au palais de Carthage entre le président de la République, Béji Caïd Essebsi, et le Chef du gouvernement, Youssef Chahed. Elle intervient dans un contexte assez austère, avec une économie affaiblie par de graves difficultés budgétaires qui ont récemment entrainé la dégradation de la note souveraine du pays. Son élaboration risque d’être assez singulière au regard des pressions qui s’exercent autour de ses orientations, particulièrement en ce qui concerne les entreprises publiques.

Si certaines entreprises publiques réalisent des bénéfices, bon nombre d’entre-elles sont déficitaires ou surendettées, à l’instar de la sidérurgie El Fouledh. Cette situation est essentiellement due aux problèmes structurels liés au manque de financement et à la mauvaise gestion. En effet, les entreprises publiques ont la particularité de souffrir d’une masse salariale disproportionnée, d’un équipement vétuste, d’un mode de gouvernance archaïque et de pratiques syndicales très contraignantes qui affectent leur productivité et leur rentabilité.

Pressions internationales pour la restructuration

En plus des dérapages liés à la masse salariale du secteur public et du déficit structurel du système de protection sociale, ces difficultés que traversent les entreprises publiques sont venues creuser le déficit budgétaire de l’Etat et fragiliser la position du gouvernement vis-à-vis de ses bailleurs de fonds. Car en signant l’accord du Mécanisme Élargi De Crédit (MEDC) auprès du Fonds Monétaire International (FMI), l’Etat tunisien s’est engagé à implémenter un programme de réforme pour assainir les finances publiques, comprenant notamment la restructuration des entreprises publiques. Le représentant du FMI en Tunisie, Robert Blotevogel, a récemment déclaré à ce sujet : « un retard a été enregistré l’année dernière, dans la réforme des entreprises publiques, avec le non-respect de certaines échéances notamment, en ce qui concerne les contrats de performances qui auraient dû être signés, en septembre 2016, mais ça n’a été fait qu’au cours du premier semestre 2017 ».

Le gouvernement tunisien en a subi les conséquences à deux reprises au cours de cette année. Une première fois avec le blocage du décaissement de la deuxième tranche du MEDC au mois de février. Ensuite, avec la récente dégradation de la note souveraine de la Tunisie par l’agence de notation Moody’s. Dans sa note, celle-ci met en garde le gouvernement contre « de nouveaux retards dans la mise en œuvre du programme de réformes économiques convenu avec le FMI […] qui pourraient également donner lieu à une [nouvelle, ndlr] dégradation de la note ».

L’appétit du secteur privé pour la privatisation

Si le FMI urge pour la restructuration des entreprises publiques, le secteur privé tunisien est davantage plus intéressé par leur privatisation, vraisemblablement non pas pour des vertus d’équilibre budgétaire mais pour l’opportunité économique que cela représente. Tour à tour, les experts-comptables, les organisations patronales (UTICA et IACE) et les chambres mixtes d’Industrie et de commerce, la CONECT et l’Association Tunisienne de la Gouvernance se sont relayés pour appeler à la « nécessité » de privatiser les entreprises publiques.

Même si elles sont déficitaires, la plupart de ces entreprises opèrent dans des marchés stratégiques à très fort potentiel. Elles sont dotées de positions monopolistiques et elles bénéficient des marchés publics, autant dire qu’une meilleure gouvernance pourrait multiplier leurs bénéfices. C’est cette perspective de plus-value qui aiguise les appétits du secteur privé. Et au vu des déclarations des responsables au sein du gouvernement Chahed, les pressions exercées par le patronat commencent à porter leurs fruits. L’option de la privatisation fait déjà écho auprès du Conseiller économique auprès du Chef du gouvernement, Fayçal Derbel, qui a notamment évoqué le 18 juillet dernier la privatisation de la RNTA, provoquant une manifestation des agents et des cadres de cette entreprise publique devant le siège de l’Union Générale des Tunisienne du Travail (UGTT).

En visite à Kasserine en ce début de semaine, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a tenu à calmer les ardeurs du patronat en déclarant que l’organisation syndicale « exercera des pressions positives sur le gouvernement pour trouver les solutions permettant de sauver les entreprises publiques menacées de faillite […] Il n’est pas question de céder les entreprises publiques aux privés, quels que soient les problèmes financiers qu’elles rencontrent ». L’automne s’annonce déterminant.