Il s’agit d’un décret- loi modifiant et complétant certaines dispositions de la loi organique relative à l’Instance supérieure indépendante pour les élections. L’ISIE est la seule instance constitutionnelle en place parmi les cinq prévues par la Constitution. Avant la dissolution du parlement, les membres étaient élus par les représentants du peuple avec une majorité renforcée, soit 145 voix minimum.
Le décret-loi actuel prévoit le changement de la composition du conseil de l’ISIE, et la révision des modalités de nomination et de révocation de ses membres. L’instance compétente pour la supervision des élections sera composée de sept membres, dont « trois choisis par le Président de la République parmi les membres des précédentes instances supérieures indépendantes pour les élections », selon l’article 5 du décret-loi. Les candidatures des autres membres (trois magistrats et un ingénieur) sont présentées au Président de la République par les organismes intéressés. Les trois magistrats seront proposés par les conseils de la magistrature judiciaire, financière et administrative. Alors que l’ingénieur sera proposé par le Centre national de l’informatique.
Position opaque de l’ISIE actuelle
Jusqu’ici, l’ISIE n’a pas officiellement réagi. Mais les réactions de ses membres sont divergentes. Son président actuel Nabil Bafoun a estimé, dans une déclaration à Mosaïque FM le 22 avril 2022, que l’ISIE « s’est effondrée » et que son indépendance a été manifestement touchée après la promulgation du décret-loi. Selon Bafoun, Kais Saied sera à lui seul « l’équipe, l’arbitre, et le gardien de but »: « C’est l’instance du président par excellence », a-t-il alerté.
Toutefois, un autre son de cloche est perceptible du côté du vice-président Farouk Bouasker, guère hostile à cet amendement. Dans une déclaration à l’agence Tunis-Afrique-Presse (TAP), Bouasker a considéré que «le décret-loi comprend des points positifs et des lacunes», notant que «l’indépendance est une question personnelle et subjective de chaque membre, qui n’est pas liée au mode de nomination ou d’élection». La présidente de l’Association Tunisienne pour l’Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE), Leila Chraibi, partage le même point de vue. Pour elle, il vaut mieux attendre la nomination des nouveaux membres pour évaluer leur compétence par la suite. «De toute façon, il y aura une instance provisoire. Il est vrai que le schéma n’est pas parfait, mais tout dépend des personnes qui vont être nommées», a-t-elle déclaré à Nawaat. Et d’ajouter : «Les anciennes ISIE n’ont pas été indépendantes».
En vue de mieux comprendre la position de l’ISIE, Nawaat a contacté le membre Mohamed Tlili Mansri, qui nous a assuré que l’instance ne s’est pas encore réunie pour émettre une position officielle quant au décret-loi présidentiel. «Personnellement, je n’ai aucun problème par rapport au changement de la composition de l’instance. Mon mandat prendra fin en 2023. Mais si le président va désigner les nouveaux membres de l’ISIE, j’assurerai la passation», nous a-t-il confié.
Chevauchement des délais : que faire ?
Selon la feuille de route de Kais Saied, le référendum devrait se tenir le 25 juillet 2022. Les citoyens seront appelés à s’exprimer par leurs votes, sur les projets de réformes constitutionnelles issus de la consultation nationale. Une commission serait créée à cet effet pour examiner les propositions et les émettre à la fin du mois de juin, pour les soumettre plus tard au référendum.
Conformément aux dispositions de la loi électorale, les électeurs doivent être convoqués par décret présidentiel dans un délai minimum de deux mois avant la tenue du référendum. Il faudrait donc convoquer les électeurs pour le référendum le 25 mai 2022. Dans ce cas, la date de convocation au scrutin pour le référendum précédera celle de la fin des travaux de la commission, qui n’a toujours pas été créée. Que faire ?
«Les dates du référendum et des élections législatives ne sont pas définitives. Elles devraient être fixées par un texte de loi», nous explique Mohamed Tlili Mnasri de l’ISIE. Et de préciser: «Il faut tenir compte des délais d’enregistrement des électeurs, de la mise à jour des registres, des délais de recours et de déclaration des résultats de vote… Face à cette situation, on préconise soit la promulgation d’un décret-loi pour réduire les délais et maintenir la date du 25 juillet, soit le report du référendum».
Pré-25 juillet : les crises de l’ISIE
L’ISIE a connu des crises internes depuis des années, notamment après la démission de son ancien président Mohamed Chafik Sarsar et de deux autres membres du conseil, le 9 mai 2017. Cette démission a créé un séisme politique et a soulevé un large débat sur l’indépendance de l’instance. Par la suite, un marathon de séances plénières à l’ARP a commencé pour pourvoir les vacances du conseil de l’ISIE. A rappeler que la Constitution exige une majorité renforcée (pas moins de 145 voix) pour l’élection des membres des instances constitutionnelles indépendantes.
Le 14 novembre 2017, Mohamed Tlili Mnasri a été élu président de l’ISIE, après quatre rounds de vote.
Le 3 juin 2018, le conseil de l’ISIE a présenté au parlement une motion pour le destituer de ses fonctions, mais la séance plénière a été annulée. Mnasri a présenté sa démission du poste de président tout en gardant ses fonctions en tant que membre de l’ISIE.
Le 25 juillet 2018, Nabil Bafoun a déposé sa candidature pour présider le conseil de l’ISIE. Après un bras de fer avec les blocs parlementaires et l’échec de plusieurs rounds de vote, Bafoun a été élu, le 29 janvier 2019, président de l’ISIE. Quelques mois plus tard, deux membres de l’ISIE l’ont accusé de mauvaise gestion des deniers publics. Et Bafoun a annoncé la possibilité de révoquer ces deux membres, le 9 novembre 2019.
Compte tenu des conditions actuelles, difficile de prévoir les actions de Kais Saied. Un éventuel amendement de la loi électorale, sans concertation avec les parties concernées, paraît préoccupant, tant au niveau local, qu’à l’échelle internationale.
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