Au fil de l’histoire récente et contemporaine, Paris n’a jamais été éloignée des affaires tunisiennes. Capitale de l’empire colonial qui a pillé et colonisé tant de pays, africains en particulier, elle a également été un point de départ de la lutte nationale pour l’indépendance, puis plus tard, un refuge pour les militants et les opposants fuyant l’oppression des régimes de Habib Bourguiba et Zine El-Abidine Ben Ali.
A Paris, des militants tunisiens ont fondé des mouvements et des organisations qui ont profondément marqué l’histoire contemporaine de la Tunisie, tels que l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et le mouvement de gauche Perspectives. Des opposant y ont également organisé des manifestations et des conférences contre la dictature sous l’ancien régime, et créé des alliances et des initiatives politiques.
Au lendemain de la Révolution de la liberté et de la dignité, des centaines de militants sont rentrés au pays après des années d’exil forcé ou volontaire, avec pour ambitions de construire une société de libertés et de justice et un système démocratique et social, garantissant l’égalité entre les citoyens et les citoyennes. Cependant, ces aspirations se sont rapidement évaporées face à une contre-révolution régressive, qui phagocytait les acquis de la révolution et au retour progressif des pratiques du régime autoritaire. A ce moment-là, de nombreux opposants et compétences ont, pour diverses raisons, pris la décision de quitter le pays, annonçant le retour d’une « opposition en exil » avec de nouvelles figures et de nouveaux modes d’organisation. Cette « migration inversée » s’est intensifiée après le 25 juillet 2021, date marquant le début d’une croisade lancée contre les droits et les libertés et d’une vague d’arrestations visant des militants, des politiques, des journalistes, des syndicalistes et des blogueurs. L’absence de garanties de procès équitables achève de dissuader les plus optimistes. A cela s’ajoutaient, entre autres facteurs aggravants, le marasme socioéconomique et l’absence de perspectives pour construire une société libre et prospère.
Nouvelles priorités
Par « opposition en exil », il faut comprendre l’ensemble du spectre associatif et politique, des défenseurs des droits de l’homme et des libertés démocratiques, et pas seulement les partis d’opposition, dont certains militants ont choisi de s’exiler. Cependant, une question s’impose : quel rôle les organisations et partis tunisiens à l’étranger, géographiquement éloignés des événements, peuvent-ils jouer ?
Ancien député de l’Assemblée des représentants du peuple, Sofiane Makhloufi estime que l’opposition en exil, avant et après la révolution, a presque toujours eu le même rôle. Il s’agit principalement, selon lui, de « défendre les libertés et de dénoncer les atteintes aux droits des militants engagés dans les luttes politiques, sociales et des droits humains. » Nuançant son propos, le député admet l’existence de différences liées à « la dimension idéologico-politique ». « Sous le régime de Ben Ali, explique-t-il, l’opposition en exil était hantée par une grande question: quel type d’Etat voulons-nous ? L’effort était essentiellement axé sur les moyens à mettre en œuvre pour établir un Etat démocratique, fondé sur les institutions, la justice et l’égalité ».
Militant en exil depuis l’ère Ben Ali, Sofiane Makhloufi a d’abord milité dans les rangs du Parti démocrate progressiste (PDP), avant de rejoindre le Courant démocrate. Il a repris le chemin de l’exil après l’ouverture d’une enquête à son encontre pour « suspicion de complot contre la sécurité de l’Etat », à la suite de sa participation à la session plénière virtuelle du Parlement, gelé par Kais Saied avant sa dissolution en mars 2022. Invoquant l’absence de garanties d’un procès équitable et les risques de représailles, il a quitté le pays sans retour.
Makhloufi affirme que « les efforts de l’opposition à l’étranger sont focalisés sur la libération des prisonniers politiques, des détenus d’opinion, des journalistes et des militants de la société civile, ainsi que sur les questions inhérentes aux droits de l’homme en Tunisie, à travers des manifestations, des conférences et des actions médiatiques. » En parallèle, des actions purement politiques sont menées en direction des partis. Celles-ci visent, selon lui, à « ouvrir des canaux et créer une dynamique qui puisse permettre à l’opposition de trouver un terrain politique commun ». « Ce qui n’est pas toujours facile, avoue-t-il, eu égard aux susceptibilités nées des rivalités partisanes, politiques ou idéologiques durant la période de transition démocratique, et qui sont encore vivaces. »
Cette difficulté à trouver un terrain d’entente, dont se plaint Sofiane Makhloufi, est la conséquence de la conduite adoptée par certaines formations politiques, dont notamment Ennahdha, à leur arrivée au pouvoir en 2011. Aujourd’hui, il y a un état d’esprit qui n’est pas propice à l’action politique de l’opposition, à Paris comme à Tunis. Et bien que les différents courants partagent la même vision par rapport au régime du 25 juillet et de Kais Saied, ils demeurent très divisés lorsqu’il s’agit d’alliances partisanes pour faire face à ce même régime. Il faut dire que le mouvement Ennahdha représente un point de discorde central dans la mobilisation de l’opposition à l’étranger. Ainsi, des dirigeants de partis refusent-ils de collaborer avec le mouvement islamiste parce qu’ils le tiennent pour responsable de la régression politique actuelle et lui reprochent de ne pas avoir honoré ses engagements durant la décennie où il a gouverné le pays sous différentes formes. Ceux-là se recrutent, pour la plupart, au sein du Parti des travailleurs ou du parti El-Massar. On trouve aussi parmi eux des personnalités indépendantes. En revanche, d’autres acteurs s’évertuent à surmonter les divergences et ne voient pas d’inconvénient à collaborer avec les membres d’Ennahdha, partant du principe qu’ils représentent une force d’opposition importante et qu’ils jouissent d’une grande capacité de mobilisation. Ils estiment qu’il est crucial d’unifier l’opposition, dans toute sa diversité, pour faire barrage au pouvoir de Saied. Or ces discordances, qui dominent la scène de l’opposition en Tunisie déteignent directement sur l’action politique de l’opposition en exil. Cela expliquerait son apathie actuelle qui l’empêche de sortir de son cercle fermé, où elle est limitée à appeler à des manifestations pour réclamer la libération des prisonniers politiques.
Interrogé par Nawaat, Ridha Driss, cadre dirigeant du mouvement Ennahdha, explique son point de vue sur la question. « En principe, dit-il, chaque formation a le droit de choisir avec qui elle souhaite établir un partenariat politique, qu’il s’agisse de coordination, d’alliance, de coalition ou même de fusion. Sur ce point, nous sommes attachés à l’action commune, que nous considérons comme une urgence nationale. Mais nous demeurons respectueux des choix politiques de chacun, même quand il s’agit de sa relation avec notre parti. Cependant, il est inacceptable de faire des discriminations en matière de droits, de privilégier certaines libertés et d’appliquer le deux poids deux mesures lorsqu’il s’agit de défendre les victimes de la répression. Il est regrettable de constater que certains acteurs politiques ou associatifs font la distinction entre les opprimés : entre ceux qui mériteraient d’être défendus et ceux qui ne le mériteraient pas, voire qui, pour certains, mériteraient d’être honnis ou lynchés. Nous considérons cela comme une dérive grave. Certaines associations sont même allées jusqu’à refuser de défendre des militants et des militantes de la famille démocratique, voire progressiste, simplement parce qu’ils ont coordonné avec Ennahdha, s’en sont rapprochés ou sont soupçonnés de l’avoir fait ».
Dans le même sillage, le dirigeant d’Ennahdha souligne le nécessaire devoir de critique et de révision du parcours politiques de son mouvement, notamment dans l’expérience du pouvoir. Une tâche à laquelle doit s’atteler, selon lui, le mouvement lui-même. « Il s’agit, explique Ridha Driss, d’une condition intrinsèque à son essor avant même d’être une exigence extérieure. Cela dit, tous les acteurs politiques ou économiques, tous les leaders d’opinion et toutes les institutions névralgiques de l’Etat sont également appelés à faire leur autocritique avec honnêteté et objectivité, chacun selon l’importance de son rôle et de sa responsabilité. Et nous devons répondre à la question cruciale de savoir ce qui a conduit au déclin du processus démocratique et à la montée du populisme, tout en cherchant à savoir comment restaurer ce processus et construire un développement équitable », souligne notre interlocuteur.
Poursuivant son analyse, Ridha Driss répond à ceux qui exigent, au préalable, qu’Ennahdha fasse d’abord son autocritique sur la période de son règne :
On trouve deux catégories de gens : ceux qui tiennent à rassembler la famille nationale autour d’un minimum commun et considèrent cette revendication comme une motivation pour le dialogue et le rapprochement. Et dans ce cas, nous pourrions avancer ensemble. Quant à la deuxième catégorie, elle semble avoir des barrières idéologiques à l’idée même de coopération, et a fortiori avec Ennahdha. Ce groupe ne semble pas près d’accepter le droit à la différence, et encore moins de s’y inscrire.
Cette guéguerre chronique entre le mouvement fondé par Rached Ghannouchi et ses rivaux a marqué la scène politique tunisienne pendant des décennies, et il semble que cette situation demeurera inchangée pendant encore un certain temps. Les divergences restent profondes, et certains partis n’ont pas oublié les « blessures du passé », proche ou lointain. Le problème a pris une autre tournure après l’arrivée au pouvoir de ce mouvement. Il ne s’agit pas d’une divergence de vues ou de programmes économiques et sociaux, mais plutôt de ce passif d’Ennahdha, de son double discours et de ses renoncements dès son accession au pouvoir, comme ce fut le cas avec la coalition du 18 octobre. Ses détracteurs reprochent aussi aux dirigeants de ce mouvement d’avoir galvanisé leurs adeptes pour diaboliser et dénigrer l’opposition. Certaines analyses suggèrent même que le régime du 25 juillet s’est inspiré de la même tactique consistant à mobiliser des hordes de nervis pour bloquer les voix libres sur Internet. Ce sont ces pratiques, encouragées par des dirigeants grisés par le pouvoir, qui a conduit Ennahdha à sa propre perte. Malheureusement, cela a fini par paralyser la vie politique, syndicale et associative dans le pays. Ennahdha traine aussi de grosses affaires qui n’ont pas encore été élucidées. Sans prétendre à l’exhaustivité, on citera à cet égard, certains assassinats politiques, l’envoi de combattants vers les zones de conflit et l’organisation secrète dont certains documents étaient conservés dans une « pièce obscure » du ministère de l’Intérieur, les citoyens mitraillés à la chevrotine à Siliana.
Hatem Nafti, l’essayiste tunisien basé en France, explique cette désunion en affirmant que « la relation des partis politiques avec Ennahdha en exil obéit presque aux mêmes paradigmes que celle de l’intérieur. Il est donc naturel de trouver des partis qui refusent de collaborer avec le mouvement islamiste. Le Parti des travailleurs, par exemple, a eu de mauvaises expériences précédentes dans le cadre de l’alliance du 18 octobre et juge aujourd’hui qu’Ennahdha est revenue sur tous ses engagements et positions. » C’est ce qui aurait encouragé le régime à tout mettre sur le dos de ce parti, en rappelant à chaque fois les dérapages dont il s’est rendu coupable, comme notamment les affaires liées au terrorisme. En revanche, il y a ceux qui estiment qu’Ennahdha est victime de répression, de procès d’intention et d’arbitraire. Pour Hatem Nafti, il y a encore cette crainte d’être « stigmatisé » politiquement, « poussant certains à éviter les accusations et les attaques ciblés contre quiconque s’allie ou collabore avec Ennahdha ». « Ce sentiment existe aussi bien à l’intérieur du pays qu’en exil », assène l’essayiste.
Enumérant les atouts d’Ennahdha en exil, Hatem Nafti rappelle le poids des réseaux islamistes qui lient le mouvement tunisien à d’autres organisations proches des Frères musulmans, tels que l’Organisation des musulmans de France, reconnue comme l’une des plus importantes structures islamiques dans l’Hexagone. « A cela s’ajoute la forte présence des militants d’Ennahdha dans la vie politique et publique en France, comparés aux militants de gauche, par exemple, dont l’activité se limite à certains syndicats et structures de gauche. Tout cela aurait aidé Ennahdha à maintenir relativement sa capacité de mobilisation, malgré le net recul de sa popularité. Ses partisans sont surtout présents dans les rassemblements organisés par l’opposition ou par des organisations de la diaspora. Sans négliger, bien entendu, l’aspect historique et idéologique du mouvement, qui a forgé une grande cohésion et inculqué une forte discipline parmi ses membres », conclut Hatem Nafti.
Le rôle historique des ONG
Les militants exilés en France en conviennent : les associations jouent un rôle plus important que les partis politiques. En effet, les militants des partis sont souvent tenus par une discipline interne limitant leur champ d’action à un cercle restreint d’alliances et de thématique. A contrario, les associations jouissent d’une liberté de mouvement dans divers domaines et sur différentes questions. Nous avons assisté à une manifestation à Belleville qui a réuni des militants tunisiens en exil de diverses obédiences politiques et partisanes, mais n’a pas été organisée par des partis. Elle a été convoquée par des associations, telles que le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), l’Association démocratique des Tunisiens en France (ADTF), l’Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT) et l’Association des victimes de la torture en Tunisie. Ces associations jouent un rôle important dans les milieux militants, grâce à leurs mots d’ordre rassembleurs et dénués de clivages politiques.
A ce sujet, Mohieddine Cherbib, président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, explique ce rôle :
Nous ne représentons pas l’opposition, mais nous sommes en relation avec ces différents courants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Nous représentons des associations actives dans le cadre de la société civile et qui sont en contact avec la société civile française et européenne. Le but étant de lier des questions telles que l’immigration, les libertés, ainsi que les droits politiques et économiques de la région maghrébine, avec la société civile européenne anticoloniale .
Cherbib indique que depuis sa création en 1996, le comité se penche sur toutes les questions relatives aux libertés, aux droits de l’homme et à la justice. « Il cherche à être un trait d’union entre la société civile tunisienne intéressée par ces questions, d’un côté, et la société civile et l’opinion publique européennes, de l’autre. Aujourd’hui, le comité travaille d’arrache-pied sur la question des prisonniers d’opinion et politiques, en mobilisant du soutien pour eux et leurs familles, et en sensibilisant l’opinion publique à leur cause », souligne-t-il.
Pour Mohieddine Cherbib, il est inutile de comparer le rôle actuel des associations et de l’opposition avec celui qu’elles jouaient avant 2011. « Avant la révolution, nos principales revendications concernaient la liberté, la démocratie et la libération des prisonniers politiques. Aujourd’hui, ces revendications sont revenues au premier plan depuis que Kais Saied s’est arrogé les pleins pouvoirs. Les acquis de la révolution, qui avaient permis une relative marge de liberté et de pratique démocratique, ont été remis en cause. La politique de bâillonnement et les procès d’opinion ont ressurgi. Nous nous retrouvons à nouveau avec des prisonniers politiques et d’opinion. Notre devoir est de faire face à cette situation et de soutenir la société civile tunisienne. Alors que durant la dernière décennie, notre rôle était essentiellement centré sur les questions migratoires et le soutien aux mouvements sociaux en Tunisie ».
Paris, refuge des militants persécutés
L’activisme associatif et politique en exil n’est pas l’apanage des militants des partis politiques et des associations. Il concerne également d’autres catégories, notamment les journalistes et des militants LGBT. Il y a même d’anciens hauts fonctionnaires qui ont émigré en France, et dont certains ont demandé l’asile politique. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ne fournit pas de chiffres sur le nombre de réfugiés ou de demandeurs d’asile en provenance de Tunisie, invoquant la confidentialité des données personnelles. Mais nous avons rencontré plusieurs Tunisiens ayant obtenu l’asile politique, et d’autres qui venaient de déposer leur demande.
Parmi ces « nouveaux réfugiés », Firas explique que sa demande d’asile est liée à son témoignage dans une affaire de décès suspect survenu en Tunisie il y a sept ans, concernant un jeune Tunisien de vingt ans, tué par des policiers. Un témoignage qui lui a valu des pressions et des persécutions. Firas est un pseudonyme que ce jeune exilé s’est choisi pour éviter des risques de représailles contre sa famille en Tunisie. Il affirme qu’il n’est pas le seul témoin à avoir subi des pressions dans cette affaire. Un autre témoin a émigré en Italie clandestinement, tandis qu’un troisième a été victime de harcèlement continu jusqu’à ce qu’il soit, à ses dires, tombé dans une affaire de consommation de stupéfiants.
Autre catégorie persécutée : les militants et militantes de la communauté LGBT. Ils sont des dizaines à avoir quitté la Tunisie au cours des dix dernières années. Ces deux dernières années, le rythme des départs s’est intensifié en raison des pressions, des poursuites judiciaires et des violations de l’intégrité physique, notamment à travers les examens anaux. Le militant politique et queer, Seif Ayadi, explique cette migration par l’acharnement judiciaire qui a, selon lui, poussé cinq membres des bureaux exécutifs d’associations actives dans la communauté LGBT à quitter le pays sous la menace d’emprisonnement, d’une justice aux ordres, de torture et des mauvais traitements infligés aux détenus d’opinion. En outre, 28 militants ont quitté définitivement la Tunisie, la plupart d’entre eux étant des personnes vulnérables, comme les femmes transgenres ou les activistes queer originaires d’Afrique subsaharienne, révèle notre interlocuteur.
Cet ancien président de l’association Tunisienne pour la justice et l’égalité Damj, estime que « personne ne souhaite quitter son pays. C’est une décision très difficile, surtout lorsque nous espérons voir le changement après le mouvement révolutionnaire et arracher des acquis, même partiels, dans le domaine des droits et des libertés publics et individuels. Mais dans les faits, des dizaines de militants LGBT ont quitté le pays au cours des quatorze dernières années en raison des pressions sociales et politiques. Les années qui ont suivi la révolution, marquées par la montée du salafisme dans le pays, ont contraint des militants à émigrer. Ils ne pouvaient plus rester exposés aux actes de violence, aux discours haineux et aux lettres de menaces. Par la suite, il y a eu le retour de la poigne de fer sécuritaire, l’intensification des poursuites judiciaires et des descentes policières dans les locaux des associations de défense des droits des militants queers. Ces derniers sont soumis à des examens anaux forcés et inhumains et à des interrogatoires musclés. Ces pratiques érigés en système depuis 2021 ont fini par contraindre les militants à s’exiler. »
La rengaine de « l’intelligence avec l’étranger »
Les militants en exil sont souvent accusés de collaboration avec des cercles étrangers. Ce discours propre aux régimes réactionnaires arabes qui en usent et abusent pour discréditer toute voix discordante, a prospéré en Tunisie, au point de devenir un leitmotiv dans les interventions du président Kais Saied. A ce sujet, Sofiane Makhloufi dira :
c’est la même rengaine depuis l’époque de Bourguiba et de Ben Ali, et maintenant avec Kais Saied. Ces allégations sont brandies pour occulter de graves violations et masquer l’échec dans la gestion des affaires de l’État, en essayant de faire accroire que cet échec est dû à un complot contre la Tunisie, fomenté depuis l’étranger. La triste réalité est que nous détruisons notre pays nous-mêmes et que nous corrompons sa gouvernance.
Pour cet ancien député, ces accusations à l’emporte-pièce cachent l’incapacité du pouvoir à gérer les affaires du pays, à répondre aux besoins des citoyens, à éradiquer la pauvreté et le chômage, et à créer un climat favorable au développement. Il ne comprend pas cette incroyable légèreté avec laquelle le pouvoir lance des accusations de collaboration et de complot avec l’étranger, « comme si cet étranger n’avait d’autre préoccupation que la Tunisie, un pays dont la première richesse est créée par ses propres enfants », martèle Sofiane Makhloufi. Et de poursuivre : « sans ces atteintes aux libertés et les menaces contre la vie des opposants à l’intérieur pays, il n’y aurait pas eu d’opposition à l’étranger. Car l’exil leur a été imposé ».
Sur la même lancée, le président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie estime que « ces accusations sont sans fondement, car nous n’avons aucun lien avec les régimes politiques à l’étranger. Mieux, nous nous opposons à ces régimes. Nous nous considérons comme des victimes de leurs politiques basées sur la discrimination et le racisme envers les migrants. Lorsque nous parlons de coordination ou de relations avec les Français ou les Européens, nous désignons la société civile et non les gouvernements ». Et d’enchaîner :
nos relations se limitent à des ONG et des syndicats opposés au pouvoir, favorables à la liberté, aux causes des peuples et à la lutte contre l’occupation sioniste en Palestine. Nous avons obtenu des résultats concrets grâce au soutien de ces organisations à des causes justes en Tunisie. Avant la révolution, nous avons assuré un soutien médiatique international à la cause des activistes du mouvement du bassin minier, jetés en prison. Après la révolution, nous avons également appuyé les efforts déployés par le Forum pour les droits économiques et sociaux pour organiser le Forum social mondial en Tunisie à deux reprises. Voilà en quoi se résume, sommairement, le bilan de notre activité en cinquante ans de militantisme en exil.
Dans les faits, la Tunisie revient à la situation d’avant la révolution. Le pouvoir privilégiant les réponses sécuritaires et judiciaires, des citoyens sont emprisonnés pour leurs opinions, leur activités politiques ou de défense pacifique des droits humains. Des militants sont poussés à l’exil, éloignés de leur pays et de leurs proches pour échapper aux procès et aux représailles. Mais malgré la gravité de la situation et le recul considérable des droits et libertés, des forces et des personnalités politiques, associatives et syndicales, ont choisi de résister et de lutter pour défendre les droits de l’homme et les détenus d’opinion. C’est ainsi que la mobilisation persiste, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Tunisie.
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