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L’article 32 de la Constitution Tunisienne stipule que « l’État garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information ». Ce droit est censé garantir la transparence institutionnelle et servir de levier dans la lutte contre la corruption. Malgré l’euphorie révolutionnaire de 2011, un premier texte a limité cet accès aux documents administratifs. Aujourd’hui, un nouveau projet de loi traine au bureau de l’Assemblée et la société civile s’inquiète.

La nostalgie de l’opacité

Le 26 mai 2011, le gouvernement intérimaire de Beji Caïd Essebsi, émet le décret-loi n° 2011-41 relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics, modifié quelques jours plus tard. Même si le gouvernement n’a pas consulté la Commission de réforme politique, à l’époque représentative des différentes sensibilités politiques, ni la société civile, le décret était perçu comme un signe fort de rupture avec l’ancien régime, adepte de la culture du secret et de l’impunité. Cependant, la société civile s’attendait à une amélioration rapide du dit décret par une loi qui concerne tout type d’informations et pas seulement les documents administratifs ainsi que des modalités plus explicites et accessibles à tous les citoyens. Quatre ans après, la loi attendue n’est encore pas adoptée. Pire, le décret loi 2011-41 n’est pas passé dans les mœurs. Faute d’une volonté politique, l’équipe dirigeante, semble nostalgique de l’opacité et de la mise à l’abri des institutions de tout questionnement ou critique.

A Nawaat, nous avons appris à nos dépend l’inefficacité du décret-loi n°41. En mars 2015, Nabil Karoui, hors-la-loi récidiviste du paysage audiovisuel, était dans le collimateur de la HAICA qui lui rappelait l’interdiction aux patrons de chaînes d’être membre d’une instance dirigeante d’un parti politique (Art. 9 des cahiers des charges). Nous demandons à l’autorité de régulation l’accès au dossier de Nessma TV dans lequel figure l’engagement sur l’honneur de respecter les termes de l’article 9. Nous sommes informés que nous sommes autorisés à consulter sur place le précieux document. Deuxième tentative, le 17 août 2015, une demande d’accès à « tout document indiquant la participation aux capitaux des médias audio-télévisuels » est accueillie par une fin de non recevoir. Nous attendons toujours la réponse du président de la HAICA.

Début juillet, le gouvernement Essid a retiré le nouveau projet de loi sur le droit d’accès à l’information de la commission parlementaire des droits et libertés qui a fini, pourtant, de le discuter et de l’amender. Des ONG, à l’instar de Bawsala, Reporters sans frontières ou Article 19, ont appelé, le parlement, à amender le projet de loi ainsi que la création d’une instance indépendante d’accès à l’information.

D’après nos sources, le projet de loi serait à nouveau déposé au parlement par le gouvernement mais « coincé depuis septembre au secrétariat qui ne l’a pas encore remis à la commission des droits et libertés ». Certains expliquent cette lenteur par les urgences actuelles liées à la lutte contre le terrorisme et le bouclage du budget 2016, d’autres crient à une énième tentative de retour en arrière.

La société civile inquiête mais vigilante

Selon Yasmine Kacha, responsable du bureau Maghreb de Reporters Sans Frontières, l’application du décret de loi 2011-41 ne donne que peu de résultats surtout qu’il concerne l’accès aux informations administratives uniquement.

« À RSF, nous considérons que le droit d’accès à l’information dépasse le droit d’accès aux documents administratifs puisqu’il concerne toute forme d’information. Ainsi, une loi cadre sur l’accès à l’information serait beaucoup plus efficace pour permettre notamment aux journalistes et blogueurs d’informer le public sur ce qui se passe ou de ce qui s’est passé dans les administrations publiques. Cette loi est nécessaire pour un pays qui dit vouloir suivre la voix de la transition démocratique » explique Yasmine avant de rappeler, l’absence, selon elle, « de volonté politique et de coopération des administrations dans l’application du décret, comme le cas d’Al Bawsala, ne présagent pas un bon rebondissement dans la création d’une loi garantissant l’accès à l’information pour tous ».

Pour la mise en œuvre de son projet, Marsad Baladiyet, Al Bawsala a demandé, entre janvier et août 2015, l’accès aux archives des 264 municipalités (budgets de 2012 à 2015, analyses financières, ressources humaines, compositions de délégations spéciales et commission, PV de réunions et listes de bien immobiliers). Cheima Bouhlel, responsable du projet, nous explique que « six municipalités ont refusé en premier temps de nous donner les documents demandés. Suite à des plaintes que nous avons déposées, quatre communes ont fini par nous répondre. Cependant, deux autres municipalités à Kairouan refusent de nous donner accès aux informations demandées. D’après nos informations, les deux communes craignent la colère du gouverneur et ne veulent pas donner des documents sans des ordres directs de sa part »

Ainsi, même si la loi oblige les administrations au libre l’accès à l’information, la confusion et la peur de l’application d’anciennes lois sur les agents de l’administration persistent. Hajer Trabelsi, militante associative, explique dans ce contexte que :

Le code pénal et la loi de la fonction publique sont en contradiction avec le décret 2011-41 et même avec le nouveau projet de loi lié à l’accès à l’information. En effet, le secret professionnel et les obligations de réserves interdisent les fonctionnaires publics à appliquer le décret 41. Il serait, donc, normal qu’une administration refuse l’accès aux informations à un citoyen et renchérie en l’appelant à porter plainte s’il le veut. De toute façon, la loi est du coté de l’administration.

De son coté, Reporters Sans Frontières, estime qu’ « un plaidoyer fort de la société civile nationale et internationale est nécessaire afin que le projet de loi soit voté courant 2015, ou mis à l’agenda de l’Assemblée au premier trimestre 2016 ». Mais si la loi est nécessaire pour avoir une assise juridique protégeant le droit d’accès à l’information, « la création de l’instance indépendante d’accès à l’information, forte, crédible et indépendante est plus que primordial dans notre pays » selon Hajer Trabelsi. Rappelons que cette instance constitutionnelle devrait être crée pour décider de rendre public ou non un quelconque document. « Elle sera comme un tribunal qui aura la force de dépasser les exceptions s’il y a preuve de l’intérêt général de la publication d’un document ou d’une information. De ce fait, les détails liés aux exceptions, aux modalités et à la gratuité ou non de l’information seront secondaires car l’instance donnera la priorité à l’intérêt général des Tunisiens » conclut Hajer Trabelsi.

Si le droit d’accès à l’information était l’un des acquis de l’après 14 janvier, sa mise en sourdine annonce le retour de l’opacité d’un système plus soucieux d’ordre que de libertés.