Garantie par l’article 24 de la Constitution, la liberté de circulation est constamment bridée en Tunisie. Des restrictions à son exercice sont décrétées sous différents prétextes, plus ou moins explicités.

Tout citoyen dispose de la liberté de choisir son lieu de résidence et de circuler à l’intérieur du territoire ainsi que du droit de le quitter.

Entre impératif sanitaire et libertés

Depuis mars 2019, les Tunisiens ont vécu au rythme des confinements, des changements des horaires du couvre-feu et des interdictions de déplacements entre régions. Autant d’initiatives gouvernementales dont l’efficacité n’a pas été réellement démontrée. L’amélioration de la situation sanitaire et l’avancement de la campagne de vaccination a levé tout prétexte au maintien de cet état exceptionnel. Les mesures de restrictions de la circulation ont été annulées mais remplacées par d’autres. En effet, le pass sanitaire est désormais indispensable pour accéder à de nombreux établissements étatiques et privés, et ce, en vertu d’un décret présidentiel publié le 22 octobre dans le JORT.

Sans ce laisser passer, de nombreuses personnes risquent de ne plus pouvoir accéder à d’innombrables endroits : de leur lieu de travail en passant par les centres de loisirs. Membre du comité scientifique de lutte contre le coronavirus, Dr Amen Allah Messadi a justifié cette mesure par la nécessité de se prémunir d’une nouvelle vague de Covid-19. « On risque de faire face à un nouveau pic de contamination avec l’apparition d’un nouveau variant du virus. (…) En parallèle, nous avons plus d’un million de personnes âgées de 40 ans et plus qui n’ont pas été vaccinées et qui sont susceptibles de développer des formes graves de la maladie », a-t-il expliqué. A ceux qui critiquent la mise en place du pass sanitaire au nom des droits et libertés, Messadi rétorque en citant l’exemple de la ceinture de sécurité obligatoire en voiture. Celle-ci ne vise pas, selon lui, à restreindre la liberté des personnes mais à les protéger des accidents. Le pass sanitaire s’inscrit, d’après lui, dans la même optique. Outre l’impératif sanitaire, la liberté de circulation ne cesse d’être brimée pour des considérations aussi bien politiques que sécuritaires.

La persistante S17

La lutte contre le terrorisme a servi de prétexte pour activer la procédure de contrôle frontalier S17. Cette mesure a entravé la liberté de circulation de nombreux Tunisiens. Elle été décriée par les organisations de la société civile mais aussi par le tribunal administratif. Considérée comme illégale et arbitraire, cette procédure est encore de mise, déclare Anoir Zayani, secrétaire général de l’Association de défense des libertés individuelles (ADLI), à Nawaat. Après les mesures exceptionnelles du 25 juillet, de nombreuses personnes ont été arrêtées et empêchées de voyager, déplore-t-il.

«D’un point de vue légal, l’interdiction de voyage ne peut être décrétée qu’à travers une décision judiciaire. Cette condition n’a pas été respectée puisque les interdictions de voyage sont en application de la procédure S17, légalement très contestée et contraire à la Constitution», indique-t-il. En outre, le militant associatif fustige l’assignation à résidence de nombreuses personnalités depuis le 25 juillet.

Arbitraire « résidence surveillée »

Contacté par Nawaat, le ministère de l’Intérieur a indiqué que 12 personnes ont été mises en résidence surveillée dont 4 anciens conseillers auprès de la présidence du gouvernement, 3 députés gelés, 2 magistrats, un ancien ministre, un cadre sécuritaire et un avocat. D’autres sources avancent le chiffre de 50 personnes concernées par cette procédure. L’assignation à résidence a été levée notamment dans le cas de l’ancien président de l’Instance nationale de lutte contre la Corruption (INLUCC), Chawki Tabib ou encore le dirigeant et ancien ministre d’Ennahdha, Anouar Maârouf. De quoi renforcer le flou sur sa légitimité.

L’assignation à résidence s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du décret du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence «qui a été émis à l’époque par le président Bourguiba pour faire face aux contestations de l’Union général des travailleurs tunisiens (UGTT). C’est un décret liberticide et contraire à la Constitution de 2014 », renchérit Zayani.

Et de poursuivre : « Kais Saied a utilisé la procédure S17 et l’assignation à résidence pour limiter la liberté de circulation. Cette limitation n’est ni justifiée ni basée sur des décisions judiciaires. Elle remet en cause un grand nombre de droits et de libertés qui lui sont corollaires, à savoir le droit à ester en justice, la liberté de manifestation et d’expression ». Il rappelle, par ailleurs, que la liberté de circulation est un droit fondamental, dont la restriction doit être justifiée selon les règles de nécessité et de proportionnalité en vertu de l’article 49 de la Constitution.

L’usage politique des restrictions à la liberté de circulation est confirmé par Romdhane Ben Amor du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES). Cette fois-ci, non pas à l’encontre de personnalités politiques mais envers les citoyens afin de museler les contestations : « Les restrictions à la liberté de circulation ont servi à étouffer les contestations sociales. Des contrôles ont été menés dans les gares et moyens de transports pour empêcher des manifestants d’entrer à Tunis ». Et de conclure : « Le 25 juillet dernier a été l’apothéose en la matière ».

Et l’étouffement de la liberté de circulation ciblant les citoyens n’est pas uniquement motivé par la lutte contre le terrorisme, la migration irrégulière ou dans la volonté de juguler les contestations socio-politiques. Il est aussi le fait d’un abus de pouvoir policier. Ainsi les préjugés sur les personnes originaires de certains quartiers populaires à la lisière du centre-ville de Tunis poussent certains agents policiers à leur interdire certaines zones de la capitale.