Culture 477

« Instruments » d’Ismaïl Bahri : délicatesses vidéographiques

On voudrait parler de lui sans user du superlatif. Bleu glacé, le regard d’Ismaïl Bahri file droit vers l’infiniment petit. Dans « Instruments », sa première exposition monographique, le vidéaste nous offre une sélection de ses installations vidéo les plus emblématiques. Il s’y passe pas mal de choses à petite échelle, avec un bout de papier qui se consume, des grains de sable qui s’égrènent, une goutte d’eau qui vibre ou un fil noir qui se rembobine. En cinq temps, ce travail exigeant, patient et réfléchi, élargit la perception à l’extrême, comme en cercles concentriques, là où se tend une attention rapprochée dont l’image est la pointe. L’exposition se poursuit jusqu’au 24 septembre 2017, au Jeu de Paume, Paris.

Erkiz Hip Hop : Rappeurs tunisiens et français explorent le groove du mezoued

Venus de France pour célébrer la Fête de la Musique à Tunis, les rappeurs Demi Portion, Ichon et le groupe 3ème Œil ont partagé la scène avec leurs homologues tunisiens, Vipa, Massi et Belhassen du groupe Empire. Organisé par le collectif tunisien Debo et l’Institut Français de Tunisie (IFT), le concert Erkiz Hip Hop, présenté à l’Avenue Bourguiba le 21 juin, entend rapprocher le rap des deux rives de la Méditerranée et rassembler un public de curieux à la croisée de la culture hip hop et du mezoued. Une première en Tunisie.

Festival de la Médina : Archaïsme, privilèges financiers et opacité ministérielle

La poussiéreuse politique culturelle tunisienne peine à renouveler le paysage musical. Des déséquilibres budgétaires, favorisant systématiquement la centralisation et le classicisme, mettent en lumière un verrouillage du secteur. Obsolète et opaque, il est quasiment la chasse gardée d’une élite établie. Enième illustration en cette 35ème édition du Festival de la Médina de Tunis.

« Beyond the silence » d’Intissar Belaid : un documentaire à double hélice

Avec l’audace de qui ne veut rien devoir à personne, la cinéaste Intissar Belaid revient dans « Beyond the silence » sur son rapport complexe avec son grand-père. C’est en coupant l’écran en deux, qu’elle met en parallèle son univers et le quotidien de son grand-père. Le parti pris de ce court-métrage d’une vingtaine de minutes, est suffisamment distingué pour qu’on le tienne éloigné des formes aseptisées du genre. Ce film a été projeté en avant-première, dans la soirée du jeudi 15 juin 2017, à l’Institut Français de Tunisie.

Exposition « S’hab / S’mé » d’Atef Mâatallah : la figuration relaxée sous caution

Il y a de l’idée sous l’image chez Atef Mâatallah. Sa proposition plastique ne manque pas d’étoffe. De réflexes non plus. S’il prend du champ pour faire retour sur son expérience carcérale, il ne cède pas pour autant à l’attrait du trou de serrure. Voilà peut-être pourquoi, dans sa récente exposition personnelle S’hab / S’mé, il refuse de voir par le petit bout de la lorgnette. Entre dessins et peintures, cet artiste à la sveltesse envolée a l’œil juste et voit grand. L’exposition se poursuit actuellement à la galerie El Marsa, jusqu’au 30 juin 2017.

Horizons de l’art face aux frontières des médias : Le défi de quatre artistes tunisiens

Combien de reportages, d’interviews et d’articles nous faut-il pour contrecarrer l’image bourrée de préjugés et de mépris véhiculée par les médias mainstream sur la migration et les migrants ? En empruntant à Malraux sa célèbre phrase « l’art est la chose qui résiste à la mort », Deleuze énonce que l’œuvre d’art résiste aux dogmes de la « société de contrôle » où l’information dominante n’est que peu ébranlée par la contre-information. Nawaat a rencontré quatre artistes, occasion d’une immersion dans l’approche de chacun de la thématique de la migration.

« Au temps du 230 » : des artistes dénoncent l’homophobie de l’État

L’exposition collective « Au temps du 230 » a duré 4 jours du 17 au 20 mai 2017 à Dar Bach Hamba à la Médina de Tunis. Initiée par l’association féministe Chouf qui lutte pour les droits des minorités sexuelles en Tunisie, l’exposition est la première en son genre en Tunisie. «Au temps du 230» a réuni douze artistes entre peintres, photographes et caricaturistes qui dénoncent, chacun à sa façon, la loi 230 du code pénal qui criminalise l’homosexualité. Rappelons que dans le cadre de l’examen périodique universel des Nations Unies, la Tunisie a avoué, pour la première fois, la non conformité de la loi 230 avec la constitution de 2014 sans mentionner sa volonté de l’abroger.

« Brûle la mer », éloge de l’hospitalité filmique

Il y a, dans ce film, une parole qui brûle du même feu que ses images nocturnes. Réalisé en 2014 par Maki Berchache et Nathalie Nambot, « Brûle la mer » est à l’opposé de ce qu’on pouvait attendre d’un documentaire sur les traversées clandestines de la méditerranée. Entre le dépouillement de son dispositif et les risques d’un minimalisme peut-être un peu trop confortable, perce dans ce film une extraordinaire conscience d’artisan qu’appellent le format 16 mm et le tournage en super 8. C’est aussi sa force que d’énoncer une hospitalité à la fois politique et filmique, en alternant images et archives familiales, mais aussi photos commentées, bribes de souvenirs et poèmes par écrans interposés. Le film sera projeté aujourd’hui, mercredi 10 mai 2017, à l’Institut Français de Tunisie.

Tawzira : L’expo qui vandalise la Tunisie des cartes postales

Le Cinévog a rouvert ses portes à l’occasion du vernissage de l’exposition Tawzira, samedi 06 mai 2017. L’artiste graffeur Simarek alias Sim Vand’art et la dessinatrice Willis from Tunis y détournent les tableaux orientalistes de la médina de Tunis et de Sidi Bou Saïd pour les tourner en dérision. Les graffitis hauts en couleurs de Simarek et le chat moqueur de Willis y prennent place dans une démarche issue d’une longue réflexion sur notre perception de l’espace public en Tunisie. Nawaat y était. Tawzira se prolonge jusqu’au 20 mai. Reportage.

Résistances : Quand l’art bande mou à Carthage

Décidément, l’art bande mou à Carthage. Au moment de la piqûre de rappel de la Fête des Martyrs en son 79ème anniversaire, la Présidence de la République met les bouchées doubles pour trompeter ténacité et résistance du peuple tunisien au cours de l’histoire. Organisée en collaboration avec les ministères de la Culture et celui de l’Education, Résistances se veut une exposition itinérante qui sillonnera toutes les régions du pays jusqu’à la fin du mois d’avril 2019. On aura beau tourner sa langue mille fois dans sa bouche, on a beau fouiner dans son vocabulaire, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier cette initiative poussiéreuse d’une expo qui ne l’est pas moins : nulle.

Douraïd Souissi, photographe des hautes solitudes

En une dizaine de portraits, le geste photographique de Douraïd Souissi en dit beaucoup plus sur l’éthique du point de vue que sur le petit quart d’heure de gloire promis par les feux de la rampe. Ce ne sont d’ailleurs pas des images, mais des contre-images dont les sujets se refusent à notre regard. De ces sujets, en grande partie masculins que l’on voit se replier sur leur intimité, nous ne saurons d’ailleurs que les prénoms qui donnent son titre à cette troisième exposition personnelle du photographe. Celle-ci se poursuit actuellement à la galerie A. Gorgi, jusqu’au 10 mai 2017.

Aïcha Snoussi : quand le dessin réinvente les sexes de l’art

Des cahiers d’écolier, aux fines lignes horizontales, Aïcha Snoussi se fait de bien perverses idées. Composé d’un ensemble de cahiers d’écoliers, distribuées dans les années cinquante au sein des écoles primaires tunisiennes, son « Livre des anomalies » claque comme une baffe dans les têtes trop pleines. Le savoir dont celles-ci se targuent n’étant pas désopilant, les dessins à l’encre noire d’Aïcha Snoussi balaient les limites du goût comme la frontière entre les sexes. Présenté du 30 mars au 02 avril 2017  sur le stand de la galerie A. Gorgi, lors de l’Art Paris Art Fair au Grand Palais, ce travail déprave avec force une large vulgate rétinienne.

« Derrière la vague » de Fathi Saidi : l’immigration clandestine en contre-champ

“Derrière la vague” sonde les conditions qui pousse ces jeunes dans les embarcations de fortune et expose les répercussions dramatiques pour leurs familles. Entre calvaires et mobilisations pour réclamer aux autorités tunisiennes et italiennes des explications quant au sort de leurs enfants, le point de vue de ces familles permet à Fathi Saidi de déplacer le problème de l’immigration clandestine du champ au contre-champ. Le film sera projeté ce dimanche 9 avril 2017 à 17h, au 4ème Art (Tunis), dans le cadre de la 11ème édition de Doc à Tunis.

Kamel Daoud et le gardien de son sommeil 

La rhétorique onirique de Kamel Daoud cherche à évincer le sommeil dans un récit national qui pourtant l’impose. Mais par le procédé d’identification imaginaire, il fixe bien le rétroviseur. C’est qu’en déposant des œillères sur le présent de la transition tunisienne, Daoud pense au refoulé algérien, pris en tenaille entre les fantasmes nostalgiques et les incertitudes du futur.

Kamel Zaghbani, la littérature et son bordel

C’est un bordel, la littérature. Et un bordel signé Kamel Zaghbeni mérite qu’on y mette les pieds, ne serait-ce que pour les petites pilules d’ecstasy qu’il nous prodigue sans complexe. C’est que sa Machina Bona Hora remet au goût du jour un appétit de littérature dévergondé. Mais cette littérature, Zaghbani ne la porte pas en brassard. Ce qui l’intéresse, c’est une chose rêvée qui paradoxalement s’offre à la réprimande. Avec En attendant la vie, c’était la vie. Et avec son deuxième roman, placé sous le signe de Spinoza, c’est une machine à illusions qui nous fait baver.
Machina Bona Hora a obtenu le prix du roman de la 33 ème édition de la Foire internationale du livre de Tunis (24 mars-2 avril 2017).

Médias : Quand le ministère de la Culture se conjugue en ministère de l’Evénementiel

Le tapage médiatique autour de la démission d’Amel Moussa de la direction du Festival International de Carthage rappelle une tendance devenue norme au fil des années : La couverture des activités du ministère de la Culture renvoie l’image d’une institution dont la principale vocation est la production événementielle. Pourquoi autant d’intérêt pour cette vocation ? Est-il justifié ? A quel point cette image médiatique concorde-t-elle avec la réalité ?

Massinissa Selmani : le dessin contre le consensus visuel

S’il faisait de la psychanalyse, on dirait qu’il couchait l’inconscient sur du papier-calque. Mais comme il ne fait que de l’art, on dira que les dessins de Massinissa Selmani dérangent plus que les audaces de toute interprétation. Dans « Le vent ne veut jamais rester dehors », sa première exposition en Tunisie, l’artiste franco-algérien offre d’intelligentes parenthèses à l’interrogation. Le recadrage des clichés tirés des coupures de presse et leur transposition en montages de dessins, fixes ou animés, lui permettent de fictionner le réel, la politique et ses images médiatiques, avec humour et lucidité. L’exposition se poursuit à la Galerie Selma Feriani jusqu’au 26 mars 2017.

« Corps étranger » de Raja Amari : du réchauffé à basse température

En langage placé sous haute surveillance, on dira que le cinéma de Raja Amari est un cinéma paillard, par sa manière de mettre le désir à toutes les sauces. Ce qui est louable en soi. Les Secrets (2009) s’est nourri aux mêmes mamelles que son premier court-métrage Avril (1998). En changeant de terrain, Corps étranger navigue aussi un peu dans les mêmes eaux que Satin rouge (2002). Serait-ce le modèle d’un cinéma indisposé à l’évolution ?