Politics 934

Les mots qui ont défait la révolution

Cet ouvrage de plus de trois cent pages se présente avec humilité comme une enquête journalistique autour d’une soixantaine de mots, d’expressions et de slogans qui auraient transformé la Tunisie depuis le déclenchement de la révolution le 17 décembre 2010 jusqu’à nos jours. Comme les Aborigènes d’Australie qui balisent de mots chantés leur histoire-territoire, les auteurs nous proposent ainsi un voyage dans la Tunisie des cinq dernières années à travers le langage qui a fleuri sur le territoire de la révolution.

Bourguiba, la statue et l’érotique du système

Sous le signe de la reconnaissance, le retour de Bourguiba se prépare à coups de liftings médiatiques. Et s’il s’agissait, contrairement à ce que l’on pouvait croire, de mettre le corps politique du leader au service d’un fantasme pervers, d’une érotique du système ? Pour mettre un langage paresseux à la hauteur de sa statue équestre, ce n’est peut-être pas Don Quichotte qui nous manque.

Ennahdha : le Congrès de la normalisation

Le congrès d’Ennahdha s’inscrit dans un processus de convergence et d’homogénéisation politique de la classe dirigeante. La contre-révolution ne saurait être une reconduction à l’identique des mécanismes du pouvoir antérieurs à la révolution. Le parrainage du congrès d’Ennahdha par Béji Caïd Essebsi, dont on connaît le parcours, me paraît être une illustration parfaite de cette convergence.

Retraite à 65 ans : une nouvelle ligne de front entre le gouvernement et l’UGTT

Le projet de loi prévoit que l’employé désirant partir à la retraite à 60 ans doit informer l’administration de sa décision. A défaut de cette notification explicite et irréversible, l’employé partira automatiquement et obligatoirement à la retraite à l’âge de 65 ans. Les syndicalistes estiment que c’est plutôt à celui qui veut prolonger son activité professionnelle de notifier sa décision à l’administration et non pas le contraire.

La démocratie policière en marche

On nous annonce aujourd’hui l’installation de caméras de surveillance dans 300 points de contrôle électronique dans le Grand Tunis et dans les gouvernorats « sensibles » de Kasserine, du Kef, de Jendouba et de Sidi Bouzid, prélude à leur généralisation sur l’ensemble du territoire national. « Vous voulez la démocratie ? », nous dit le policier, « OK, vous l’aurez ! ». Et il part d’un grand éclat de rire…

Bref aperçu sur le rampeur, dit communément lèche-bottes

Extrêmement répandu sous le règne de Ben Ali, le rampeur a semblé en voie d’extinction aux premiers temps de la révolution. Cependant, dès que celle-ci a manifesté des signes d’essoufflement, on a pu le voir se multiplier à une vitesse extrême. Plus étonnant encore, faisant fi de toute fierté, certains des plus vaillants opposants au régime de Ben Ali ne se déplacent désormais qu’à plat ventre lorsqu’ils se trouvent en présence des nouveaux dignitaires de l’Etat.

Loi sur « la réconciliation économique » : Les lobbys de la contre-révolution sur le pied de guerre

Mercredi 27 avril, des familles des martyrs et des membres du mouvement Manich Msamah ont été interdits d’accès au séminaire « la réconciliation comme choix stratégique pour la consolidation de l’union nationale ». Depuis quelques jours, les lobbys de la réconciliation économique reviennent à la charge. Tenus à huis-clos, traités complaisamment par les médias dominants, leurs séminaires reprennent un même son de cloche, comme au bon vieux temps.

L’odeur fétide de la « réconciliation »

La réconciliation, si elle venait à être institutionnalisée ou entérinée sous une forme ou une autre par l’entourloupe d’un accord avec l’IVD, ne serait, en vérité, qu’une réconciliation de la Révolution avec le contraire d’elle-même. C’est bien pourquoi elle serait nécessairement amenée à sonner le glas de la justice transitionnelle ou à la vider de son sens. Celle-ci était déjà une concession consentie par la Révolution, une formule bien douce, à mon avis, pour les chenapans de l’ancien régime. Même cette concession ne saurait être tolérée par les réconciliateurs. Ce n’est pas l’impunité seulement qui les motive mais la restauration.

Qu’est-ce qu’un homme d’affaire ? C’est un sale type

Inexorable, nous dit-on, les privatisations tout azimut ; le service public et les protections sociales, ne seraient qu’une malédiction pour le « développement » et la « modernisation ». Incontournable serait l’ouverture du pays et des marchés publics au capital étranger. Impératif, la conformité de nos lois et réglementations aux normes qui régissent le libre-échange sur le marché mondiale. Indispensables, évidemment, le retrait de l’Etat et le renoncement à toute forme de souveraineté économique.

La révision constitutionnelle à travers le monocle de Nejib Chebbi

Nejib Chebbi est sans doute l’homme politique tunisien le plus cultivé et le plus intelligent… dommage qu’il se trompe toujours. En vain, les plus grands mathématiciens ont cherché à modéliser son comportement politique. Comme la météo, les fluctuations boursières ou certaines réalités biologiques, Nejib Chebbi échappe aux math. Il faudrait inventer une sorte de psychologie quantique pour, peut-être, trouver quelque clarté dans ses choix politiques.

Aigres propos sur la coopération militaire avec le «monde civilisé»

Après nous être félicités de voir la police et l’armée quadriller le pays plus fortement encore qu’avant le 14 janvier, s’insinue progressivement en nous l’idée que nous pourrions être « sauvés  » par l’« aide désintéressée » de la sainte alliance mondiale contre le terrorisme, quand bien même cela pourrait conduire à la mise en place de nouvelles formes de protectorat. C’est ce qu’en français fos7a, on appelle se laisser abuser et qu’en français de tous les jours, on appelle tout bonnement se faire couillonner.

Bonnes feuilles : La promesse du printemps, de Aziz Krichen

Nawaat publie en exclusivité un extrait de La promesse du printemps de Aziz Krichen. Opposant sous Bourguiba et Ben Ali, il a connu les prisons du régime et a été contraint à l’exile. En janvier 2012, il est nommé ministre-conseiller à la présidence de la République avant de démissionner en mai 2014. Acteur et analyste de la transition, Krichen alterne sur 430 pages le témoignage direct et l’examen distancié, loin des règlements de compte. Dans les bonnes feuilles publiées par Nawaat, l’auteur s’arrête sur l’un des écueils majeurs de la transition : la corruption.

Sophie Bessis animera un débat avec l’auteur à la foire du livre du Kram, aujourd’hui samedi 2 avril.

L’Histoire au risque de Bourguiba

Les thuriféraires de Bourguiba, l’ont expulsé de l’Histoire pour le déposer au paradis de la métahistoire. Il est ainsi devenu une icône et à l’occasion un instrument de mobilisation de l’opinion publique. Au pire, on s’attend à ce que Bourguiba soit érigé en énorme statue dans la plus grande avenue du pays et qui pourrait coûter à l’État 650 mille dinars.

Patriotes et patriotes ou noss

Comme tous les ans, nous célébrons ce 20 mars, le départ de l’Administration coloniale en oubliant, dans la bonne tradition bourguibienne et ugététiste, qu’elle s’est soldée par la liquidation d’une grande partie du mouvement national. Et puis…. et puis, va-t-on, une fois de plus, se laisser aller à chanter la victoire du 20 mars en occultant tous ces Tunisiens qui peinent à vivre, qu’on pourrait appeler les vaincus de l’Indépendance bourguibienne et qui semblent condamnés à être les vaincus de cette révolution inachevée qui a commencé le 17 décembre 2010 ?

Interview de Choukri Hmed : Exception tunisienne, attentes citoyennes

Parmi les 1001 bilans faits de la Tunisie postrévolutionnaire, le travail du sociologue Choukri Hmed, « Au-delà de l’exception tunisienne », s’avère plutôt…exceptionnel. La démarche de l’auteur ne consiste pas à « établir un bilan provisoire des années de transition, ni de minimiser l’importance des réalisations politiques incontestables, mais de souligner qu’au-delà de l’exceptionnalité tunisienne subsistent des réalités sociales, politiques et économiques qui représentent autant de failles et de risques de ce processus révolutionnaire singulier ».

Ben Guerdane : brio militaire, récupération politique et procès en patriotisme

Quatre jours de combats acharnés, 50 jihadistes (soit autant que le récent raid US sur Sabratha), 7 civils et 12 policiers et militaires tués… l’opération de Ben Guerdane constitue un évènement majeur de l’histoire de la lutte antiterroriste en Tunisie, le plus meurtrier, même s’il n’est pas unique en son genre. Et comme souvent dans ces cas-là, certains tentent d’importer la logique militariste dans le champ des idées, en œuvrant à museler tout début de réflexion sociologique ou éthique. A leur façon, ceux qui cèdent au chantage du procès en patriotisme sont aussi des déserteurs.