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Par souci de consensus, crypto Frères Musulmans, Rcédéistes rechapés, gauchistes repentis et vagues « libéraux sociaux » étoffent ce nouvel Etat-major de Youssef Chahed. Même si dans le cadre de la présumée unité nationale, ce cocktail est politiquement miscible, sur le plan militaire cette hétérogénéité mêlée d’incompétence à la tête de la conduite de la guerre ne devrait que reproduire l’humiliante défaite de l’illustre Hannibal dans la bataille de Zama. La cause principale de la débâcle carthaginoise étant d’avoir mené au combat des hommes d’horizons si différents. Que le plan de bataille soit irréprochable et la logistique assurée, c’est la défaillance humaine à déterminer l’issue fatale de toute guerre.

Le facteur humain dans ce gouvernement, c’est une pléthore de 27 ministres et une nuée de secrétaires d’Etat. Selon cette démarche qui consiste dorénavant à gouverner par des actes de guerre dans un contexte d’état d’urgence permanent, ces ministres devaient nécessairement être triés pour s’être illustrés pour des hauts faits d’armes sur le champ de bataille du déclin économique et social que connait la Tunisie depuis la révolution « bénite ». Mais à l’examen de leurs curriculums, nulle trace d’exploits, prouesses ou actes de bravoure face à l’ennemi. Pour certains ministres même, ils représentent une version contemporaine de la cavalerie numide qui avait poignardé dans le dos l’infanterie carthaginoise dès que la bataille tourna à l’avantage de l’ennemi.

La philosophie de Youssef Chahed dans le choix de son conseil de guerre, on peut d’ores et déjà l’approcher par ce fait aussi curieux qu’anecdotique. Alors qu’Omar Behi, docteur en sciences agronomiques est nommé ministre du Commerce, Samir Taieb, juriste de son état, est confirmé à son poste de ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche. Ce qui revient, en jargon militaire, à affecter un tankiste dans une unité de sous-mariniers et inversement. Avec un tel déploiement des compétences, c’est Zama assurée. Car au-delà de ces conflits de compétences et d’incompétences, pire encore, dans ce gouvernement va-t-en-guerre contre la corruption, deux ministres soupçonnés de corruption ont été maintenus à leurs postes malgré des démêlés avec la justice et sur simple « présomption d’innocence ».

Il s’agit notamment de  Riadh Mouakhar, ministre des Affaires locales et de l’Environnement. Ce dernier, qui en à peine une année a réussi ce tour de force d’importer 30000 poubelles en plastique  et  d’inventer une contravention pour pisse sur la voie publique, est en effet soupçonné de copinage avec son conseiller véreux Mounir Ferchichi. Lynché par l’opposition, une information judiciaire a été ouverte à son encontre en juin 2017 par le Pôle judiciaire financier.  L’article 96 du Code Pénal retenu contre lui par le juge d’instruction l’expose à 3 ans d’emprisonnement et à 3000 dinars d’amende.

L’autre figure de cette campagne « Mains Propres » est Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles…etc., actuellement engagé dans une bataille prioritaire pour l’abolition de « l’examen anal ». A l’instar de son homologue haut-cité, il a survécu aux purges malgré les accusations de corruption et les poursuites judiciaires dont fait objet sa société (WFS) dans ce qui est connu comme l’affaire des passe-droits du fret aérien, Tunisair gate. Contrairement à Riadh Mouakher qui a été mis à l’index par des francs-tireurs de l’opposition, ce sont ses alliés dans le gouvernement d’unité nationale qui l’ont dénoncé. Détail qui rend compte du degré de cohésion de ce cabinet de guerre.

Lutter contre la corruption avec de tels ministres, une cinquième colonne de la malversation dans les rangs du gouvernement, explique par conséquent  pourquoi l’élan de l’offensive de Chahed s’est brisé après l’arrestation de quelques contrebandiers sans envergure. Le ver est dans le fruit. De tels planificateurs de défaites, Youssef Chahed a aussi le don de les dénicher. Pour donner le coup de grâce à la santé publique, il a nommé Slim Chaker en tant que ministre de la Santé. Les états de service de celui-ci en tant qu’ex-ministre des Finances dans le gouvernement Habib Essid parlent d’eux-mêmes. Pour boucher les trous du budget de l’Etat, Slim Chaker a inventé une « tombola », et ce n’est pas une blague. La révolution fiscale qu’il a introduite en juin 2015 consistait à relier, par des caisses électroniques au serveur du ministère, toutes les gargotes et casse-croutiers du pays y compris ceux de Borj El Khadhra. Ensuite, c’est le serveur qui se charge d’un tirage au sort retransmis en direct sur Wataniya TV qui devait récompenser  l’heureux gagnant ayant gardé son reçu de casse-croute! On saisit alors, après son coup de génie dans la fiscalité publique, pourquoi il a été appelé à résorber par une nouvelle loterie les 770 millions de dinars de déficit des hôpitaux publics.

Côté ministères économiques, là les choix du chef du gouvernement semblent être les choix d’un chef militaire déterminé à ne pas livrer un combat désespéré et perdu d’avance. Même pas un baroud d’honneur. A la tête du ministère des Finances, il a opté pour Ridha Chalghoum, pour contrer la détérioration des finances publiques qui se traduira par un déficit public de 12 milliards de dinars avec une dette extérieure publique qui dépassera 70% du PIB en 2018. Ce rescapé de l’ancien régime est un visionnaire qui n’a pas vu venir la révolution du 14 janvier. Il est resté fidèle à son poste de financier de Ben Ali jusqu’à la veille de son écroulement. Ancien président du Conseil du Marché Financier, directeur général des Avantages Fiscaux et Financiers (pour qui ?) au ministère des Finances, il était en parfaite connaissance de tous les rouages qui convoyaient l’évasion fiscale et les transferts illicites de fonds à l’étranger. Qu’il n’ait pas tiré  des avantages personnels, ce qui n’est pas vérifiable, cela signifie uniquement qu’il manque de patriotisme, pour ne pas avoir dénoncé de tels actes et d’esprit d’initiative pour sa passivité devant le sac de la cagnotte publique. Aussi, pour le chef du gouvernement, patriotisme et esprit d’initiative ne constituent aucunement des critères décisifs dans la sélection  de ses généraux. Comme pour les demandes d’emploi, il ne semble intéressé que par les diplômes et les voies partisanes de l’entregent.

Ainsi, Zied Laadhari, cet islamiste « light », ironiquement qualifié de « ministre turc du commerce », il a été nommé ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. Durant son passage à la tête du Ministère du Commerce et de l’Industrie, rien que sur les deux premiers semestres 2017, le déficit de la balance commerciale s’est aggravé de 25% et l’indice de production industrielle a régressé de 2,3%. Ce qui a été retenu après son passage ouragan sur ce super ministère, c’est la tentative de bradage de l’aciérie El Fouledh à la mafia italienne, sa nonchalance devant la fermeture au Kef de l’usine Coroplast  et enfin par l’encouragement de la consommation locale des glibettes turques. Ce super ministère scindé en deux, rien que pour dégager de la place, le ministère de l’Industrie et des PME est revenu à Imed Hammami, cet autre nahdhaoui modérantiste qui a d’ailleurs relayé Zied Laadhari à la tête du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle.

A chaque fois, le passage de témoin entre eux lui servit à balayer derrière son confrère nahdhaoui et à reprendre « les dossiers » en suspens. « Forsati (ma chance) », contrat de « la dignité », autant de programmes pour l’emploi qui n’ont rien résolu et n’ont servi qu’à engloutir les 330 millions de dinars annuels du Fonds National pour l’Emploi. D’ailleurs, ce fonds laissé à la discrétion du ministre est devenu légalement un outil de financement de la propagande d’Ennandha qui depuis 2012 s’est assurée une quasi continuité à la direction de ce ministère. Imed Hammami, en propagandiste chevronné et homme de parti discipliné, malgré ses prises de fonction au ministère de l’Industrie continue à gérer le dossier des demandeurs d’emploi du Kamour (Sud tunisien) avec une délégation nahdhaouie qui n’a rien à voir avec les vrais sit-inneurs à l’origine des événements de Tataouine.

A côté de ces deux ministres « infiltrés » dans le cabinet de guerre, l’autre crypto islamiste qui roule pour l’oumma aux dépens de la patrie est Anouar Maârouf, ministre des Technologies de l’information et de l’Economie numérique. Plus discret que Zied Laadhari dans la sauvegarde des intérêts turcs, il a réussi à briser le monopole de l’opérateur national Tunisie Telecom en tant  qu’installateur de réseaux au profit d’un seul et unique soumissionnaire turc pour la modique somme de 4,8 millions de dinars alors que l’opérateur national, avec 2000 millions de dinars de chiffre d’affaires, constitue une véritable machine à cash pour l’Etat tunisien.  Le plus intrigant dans l’affaire c’est que les Turcs pénètrent dans le marché de l’économie numérique tunisienne par un cheval de Troie : une mystérieuse holding dans laquelle on retrouve l’Etat tunisien à travers l’ATI et qui a comme actionnaire de référence Tunisie Telecom !

A travers cette revue non exhaustive des stratèges et tacticiens retenus dans ce gouvernement de guerre, il est clair que Youssef Chahed a tout mis en œuvre pour s’assurer l’échec. Parmi les généraux possibles dans le cadre d’un régime de la partitocratie, il a choisi ceux qui baliseront à coup sûr le chemin vers une cuisante défaite stratégique dans la guerre contre les cavaliers de l’apocalypse. Et les choses ne s’arrêteront pas là. Car capituler à Zama ne mène qu’à la destruction de Carthage.