La tension règne plus que jamais dans les stades. Les différents groupes de supporters du Club Africain réunis dans la “Curva Nord”, dénoncent les arrestations arbitraires et le harcèlement policier dont ils sont l’objet. A ce sujet, ils ont publié un communiqué commun, dans la soirée du dimanche 15 mai. C’est que la question prend de redoutables proportions, à l’échelle nationale. Ainsi, trois supporters du Stade Gabésien ont été arrêtés, samedi 14 mai, par la police pour avoir peint un portrait d’Omar Laabidi sur un mur du centre-ville de la cité sudiste.
La répression des supporters est désormais monnaie courante dans les installations sportives, devenues des espaces d’expression politique, des poches de résistance contre l’impunité. Les appels à faire la lumière sur le meurtre du jeune Omar Laâbidi se multiplient. Tandis que les policiers répondent à coups de matraques.
Campagne massive d’arrestations
Lors d’une conférence de presse organisée par le ministère de l’Intérieur le 10 mai, le général Lotfi Mansour, directeur des forces de l’ordre du Grand Tunis, a déclaré que son département est «attaché à la réussite des saisons sportives», appelant à rompre avec l’approche sécuritaire dans le traitement des dépassements et de la violence.
Mais le responsable est contredit par les faits. Les groupes de supporters ont été la cible de moult arrestations et procès. Deux jeunes supporters du Club Africain (CA) accusés d’avoir agressé un policier ont été condamnés en première instance à huit mois de prison. Dans le même contexte, pas moins de 40 supporters de l’équipe de Bab Jedid ont été interpellés par les forces de sécurité. Et à l’issue de la dernière audience du procès de l’affaire Omar Laâbidi, le 31 mars 2022, treize supporters ont été arrêtés.
Selon les constatations établies par Nawaat, les policiers ont arrêté 60 supporters de différentes équipes. Trois d’entre eux sont détenus depuis le début d’avril. Deux supporters ont été interpellés en vertu de la loi antiterroriste pour avoir posté sur Facebook des photos avec le slogan «la justice ou le chaos». Cependant, le pôle judiciaire antiterroriste a ordonné leur libération jugeant que l’affaire ne relevait pas du terrorisme.
Nous n’avons pas été en mesure de déterminer le nombre définitif de supporters arrêtés. Toutefois, Nawres Zoghbi, activiste de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et d’Avocats sans frontières, affirme que des dizaines de fans du Club Africain, de l’Espérance Sportive de Tunis, et du Club Sportif Sfaxien ont été arrêtés. Selon l’activiste, certains d’entre eux ont été l’objet de mandats de dépôt en vertu de la loi n° 52 relative aux stupéfiants ou de la loi n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte antiterroriste
Surveillance des violations et poursuite des arrestations
Des observateurs de la LTDH ont été dépêchés le dimanche 8 mai 2022 au stade de Rades, à l’occasion du derby entre le Club Africain et l’Espérance Sportive de Tunis, en vue de relever les violations sur les lieux. L’initiative a eu de larges échos sur les réseaux sociaux, suscitant toutefois les critiques des syndicats sécuritaires. Cependant, la présence d’une organisation de l’importance de la LTDH dans un stade, est assurément un précédent s’inscrivant dans le droit fil des événements récents. Le contexte tendu à l’extrême, est marqué par la vague d’arrestation ayant visé les Ultras, les violences policières ciblant les supporters. Mais la campagne «Apprends à nager» (Taâlem Oum) menée pour faire la lumière sur le meurtre de Omar Laâbidi, ne faiblit pas.
Un membre des groupes Ultras, Bilal (pseudonyme, vu que les Ultras sont attachés à l’anonymat) a déclaré à Nawaat que la campagne sécuritaire lancée contre eux vise à les intimider et à les dissuader de revendiquer la vérité dans l’affaire Omar Laâbidi :
L’État et le ministère de l’Intérieur nous traite comme leurs ennemis. Vous ne savez pas quelles insultes et humiliations nous subissons dès la sortie de nos domiciles, jusqu’à ce que nous quittions le stade. Ils font tout pour que nous réagissions. Cela finit par des affrontements dans lesquels ils usent et abusent des grenades lacrymogènes, des matraques, de la violence et de la torture. Les supporters se comptent par milliers et nous ne pouvons maîtriser leur réaction. Mais le ministère de l’Intérieur fait tout pour nous provoquer et nous entraîner dans la violence.
L’activiste Ayoub Amara, lui, s’est mobilisé pour la campagne «Apprends à nager». Il a considéré que les opérations sécuritaires visent tous ceux qui ont défendu les mots d’ordre de justice et de vérité dans l’affaire Omar Laâbidi, qui couvre l’État tunisien de honte. «Il n’est pas normal qu’un jeune homme soit tué après avoir été pourchassé par les policiers suite à un match de foot. Alors même que les services de sécurité et la justice protègent les accusés du meurtre ».
Le dossier Omar Laâbidi est revenu sur le devant de la scène grâce à la campagne «Apprends à nager» et aux efforts d’organisations de la société civile et des groupes de supporters, a-t-il souligné. Cela a provoqué la colère de l’appareil sécuritaire et l’a incité à intimider les supporters qui ont affiché leur soutien lors de tous les derniers matchs, a précisé l’activiste.
Combat contre l’impunité
Le jeune fan du Club Africain, Omar Laâbidi, le « martyr des stades », comme le surnomment ses camarades, a trouvé la mort à 18 ans, le 31 mars 2018, noyé dans l’Oued Meliane à Radès, alors qu’il était pourchassé par la police, à la sortie de l’enceinte sportive. Quatre ans après, les investigations sécuritaires et judiciaires n’ont toujours pas abouti à un résultat notable.
Le 4 décembre 2021, la chambre d’accusation avait décidé de déférer en état de liberté 14 policiers devant le tribunal de première instance de Ben Arous, pour homicide involontaire, non-respect des lois conformément aux dispositions de l’article 217 du Code pénal, et non-assistance à personne en danger.
En marge des deux dernières audiences du procès, des groupes de supporters et des organisations de la société civile ont initié deux manifestations devant le tribunal de première instance de Ben Arous. En outre, une campagne a été lancée à grande échelle pour revendiquer la vérité et la fin de l’impunité. De leur côté, des groupes de supporters de différentes équipes sportives ont clamé leur soutien lors des rencontres sportives, en brandissant des banderoles exigeant que justice soit faite.
Les développements récents au tribunal de Ben Arous, le report à plusieurs reprises du procès, l’absence des policiers inculpés lors de deux audiences, et leur présence en état de liberté lors de la dernière session, ont contribué à susciter les appréhensions de l’opinion publique. Celle-ci craint les éventuelles tentatives de dissimuler la vérité et d’épargner les sanctions aux accusés. Mais face à ces craintes légitimes, les services de sécurité ont opté pour l’escalade.
Certes, la violence dans les stades ne date pas d’aujourd’hui. Les groupes de supporters en général, et les Ultras en particulier entretiennent traditionnellement des rapports houleux avec les forces de sécurité. Cependant, l’affaire Omar Laâbidi est aujourd’hui brandie par des supporters de différents clubs, même ouvertement rivaux. Le slogan «Apprends à nager» lancé par les fans du Club Africain, ratisse plus large désormais. Omar est devenu un symbole, la bannière de ceux qui s’élèvent contre les violences policières, et se battent contre l’impunité.
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